Le salon du web 2.0

Pour sortir de chez lui et prendre le taxi qui devait l’emmener à la Porte de Versailles, au Salon du Web 2.0, Colin Romanet mit des lunettes fumées et un imperméable ; on aurait dit un espion ; il en était là ; toute la littérature en était là.
— C’est bizarre, dit le chauffeur de taxi.
— Qu’est-ce qui est bizarre ?
— De vous cacher le visage comme si vous vouliez qu’on ne vous reconnaisse pas.
— Pourquoi c’est bizarre ?
— Les gens inconnus, d’habitude, se montrent parce qu’ils veulent devenir connus, puis après, quand ils sont connus, ils se cachent et deviennent encore plus connus. A un certain degré, c’est le secret lui-même qui est une révélation.
Les taxis sont les derniers mystiques.
Devant le Parc des Expositions où se tenait « Le Salon du Web 2.0 », Colin enleva ses lunettes et ouvrit l’imperméable. Il sortit une canne à selfie et se filma en train de marcher. Où il allait, c’était la seule façon de passer inaperçu.
Des milliers de gens se filmaient en train de marcher vers l’entrée du salon du Web 2.0.
A l’intérieur, il y avait plus de caméras que d’écrans et plus d’écrans que d’êtres humains.
Colin heurta une jeune femme, belle, T-shirt rouge, brune, fausse brune, le portrait craché de Kim Kardashian. Autour du cou elle portait une caméra GoPro en train de filmer ce qu’il y avait devant elle. Ajusté à ses épaules, un mécanisme maintenait à la hauteur de ses yeux un écran où défilait en direct ce que la caméra filmait.
— Grâce à ce système j’ai le sentiment que ce qui est devant moi est vrai.
En menant l’enquête, il finit par s’apercevoir que tous les individus présents dans le Salon avaient payé une place pour qu’on les voie et qu’on les entende, et que personne n’était venu pour entendre les autres ou les voir. C’était ça : le Web 2.0.
Femmes et hommes confondus, tout le monde ressemblait à un Kardashian : la mère, le père, le fils ou la fille, selon les âges, mais à un Kardashian, les mêmes décolletés, le bronzage, la mort dans les yeux.

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