J’ai rempli le formulaire et proposé à ma mère : « si je m’installais à Paris ? » Content que je quitte le nid, mon beau-père a tiré son chéquier. Je lui ai suggéré de farcir la sienne, et de laisser la mienne en paix. Il m’a absous d’un coup de poing. « Le monstre à qui vous avez donné le jour, beau-papa, ne vous le rendra pas ! On vous les coupera, oui-da ! puis vous les mangera ! »
Ça faisait treize ans, lui et moi, qu’on se filait les nerfs autour du fantôme de l’Histoire. Je l’accusais d’être le fils d’un collabo, il m’accusait d’être celui d’un soixante-huitard. Sentant qu’on le chassait, il me donnait la chasse, paresseux replet, à moi, moi jeune loup aux yeux blonds, vif ! aiguisé !
J’aboyais « hallali, ah », la post-modernité ! « Andouille ! » me poursuivait-il.
Jambon !!!
Je l’ai finalement assommé, beau-papa, avec une statue de Laïos. « L’enfant-roi a grandi, vive l’enfant roi ! A vos marques, mon vieux, et partez ! Les pieds devant, PARTEZ ! »
Ma mère appartenait à ces classes moyennes catholiques à Noël et pour Pâques, qui votent à gauche, achètent à crédit et s’abonnent – bourgeois répétant qu’ils n’aiment pas les bourgeois. Elle avait nourri à mon égard une aversion digne des grands poètes. (« Ah ! que n’ai-je mis bas tout un nœud de vipères… ») A mesure que je buvais son lait et ses économies, elle nourrissait près d’elle un étranger vêtu de noir qui me ressemblait comme un frère et l’empêchait « de vivre », « de profiter », « de souffler un peu »…
Ma mère, mon dieu, me haïssait.
Le soir de mon départ…
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