[Aux bouquins de bois, slaptsticks, dont les panneaux frappés les uns contre les autres ont fini par dire quelque chose, un mot, presque une phrase…]
Notre Père qui êtes aux cieux
Venu vous mélanger à notre vie, à ses fonctions incomplètes, aux coups de pieds donnés dans la cour de récréation à Cécile Pujol, à nos articulations rayées, à la chair tout de suite insatisfaite et toujours impossible à refaire, écartée du cerveau par le même mouvement que celui qui m’a retenu sur le balcon de la rue du pont de Tounis — notre chair de crabe, croûteuse dans l’hiver, lorsque je m’ennuyais dans le Grand Salon Rouge.
Que Votre nom soit sanctifié
Et que nos langues parviennent jusqu’à Vous, et lèchent, avides, ce qui Vous a porté, saisissant non pas la vérité mais sa transe, un brin de vent sous les dunes du corps, celui de ma grand-mère dans un mouroir du quinzième arrondissement, à l’heure du chagrin, et Charlotte ne répondait plus au téléphone… être capable de prononcer, bêtement, Votre nom — phonographier le tétragramme.
Que Votre volonté soit faite sur la Terre comme au Ciel.
Que le fouet du Temps ouvre mes chairs, et y découvre l’impossibilité de la séparation, où l’âme à l’os a été cousue, tissée d’or à travers la pulpe — le fouet de l’indifférence aux pauvres et de la misère authentique, la charité asservie, le fouet des désirs, quand le goût de la merde se mêle à celui de la pomme et du coton, la fausse lumière des évidences, l’inattention, le fouet des philosophes, le fouet immonde de chacun — que ce fouet entre dans mes chairs et les ouvre sans les réduire à n’être que des chairs ; qu’il me couvre de plaies qui ressembleront à des sexes féminins d’où s’enfantera la Grâce, visible tout à coup à travers le sang, le cuir, les nerfs et la poudre à canon.
Donnez-nous aujourd’hui notre pain de ce jour.
Le Fruit-poème, et sinon aucun mot, auquel cas le silence est à Vous ; aveuglez-moi en me voyant ; donnez-moi d’être une chose qui n’appartiendra qu’à Vous ; ôtez-moi l’illusion de la conscience ; émondez dans mon âme les mensonges de la mémoire. Votre fouet, Seigneur, sera lent et doux, et parlera en claquant la langue.
Pardonnez-nous nos offenses,
Qu’avec ce fouet vous ôtiez un à un les chancres de mon angoisse. Que vous arrachiez à ma peau la peur du manque, qui est une pierre de silex sur la paille du soi-disant libre-arbitre. Pardonnez-moi la colère, quand l’enfant n’a rien fait mais qu’il devient la cible, et quand le havre conjugal est sous le feu de Navarone ; les regards détournés ; la haine de l’argent ; l’impatience au restaurant de l’orgueil, où tout est gris et fade ;
comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés.
Je suis un fouet traversé par Votre coriolissante Volonté, dont la pointe entraînée par une minuscule secousse, déployée franchira le mur du son. À Vos mains l’envie d’être, à Vos mains mon besoin d’être à Vous : conatus, murmure de la flagellation… Qu’ont-ils fait, ceux-là, après tout ?
Et ne nous laissez pas entrer en tentation,
Ne laissez pas se refermer ces plaies qui furent ouvertes sans séparer.
mais délivrez-nous du Mal.
Enfoncez Votre doigt dans ce qui a témoigné.