1. [Aux hommes, à leur peau, à leur raison, au fondement irrationnel de leur raison, mais surtout à leur peau et, par-dessus, à cette ombre qui n’est pas celle de la Pitié…]
2. Le néant n’était pas obscur. Il n’était pas translucide. L’absence de Création n’était pas incréée. Elle n’était pas l’Absence. Elle n’était ni vide ni silencieuse. Et n’était même pas ombragée.
3. Ce n’était pas une fillette aux yeux blancs, pas plus que ce n’était une perle rouge sur la lèvre de cette fillette rencontrée au Jardin des Plantes.
4. Ce n’était pas non plus un temple brisé. Ce n’était pas l’œuf dogon. Ce n’était pas une onde. Ce n’était même pas de l’eau, en tout cas pas comme on l’entend (une eau morte). Ce n’était pas du liquide de batterie.
5. Ce n’était ni Polyphème, ni ses viscères. Ce n’était pas un plongeon. Ce n’était pas un noyau de pêche. Ce n’était pas L’Émergence. Ce n’était pas non plus L’Objet jeté : il n’y a pas eu L’Éclipse. Et ce n’était pas L’Amande.
6. Et ce n’était pas non plus une Femme-Feu ou Lesbienne-Oiseau : il n’y a pas eu parthénogenèse. Ce n’était pas La Ménagère mystérieuse.
7. C’était des écailles, des yeux, des griffes, des plaies visqueuses, des vociférations vitaminées, et bien sûr c’était des arrachements, parce que c’était les dinosaures. C’était la gueule invraisemblable des dinosaures. Leur sale tronche. Et ils volaient. C’était leur ombre à travers les nuages — leur ombre planant sur l’ombre phosphorescente des séquoias.
8. Il y avait le Temps-a-priori, mais sans synthèse, et sans hommes, il n’y avait pas l’Esprit. Mais il y avait des dinosaures. Les dinosaures étaient le Temps-a-priori. Et ils broutaient du sang.
9. C’était la Vie. C’était le Néant, mais le néant vivait, parce qu’il y avait Dieu, et déjà, au milieu des dinosaures, la Croix du Fils.
10. Et déjà Celui-ci criait : « Mon Père, Mon Père… » et les dinosaures autour de son supplice batifolaient dans le sang, la merde et l’eau salée.
11. Ce n’était pas seulement des animaux, mais pas moins des plantes et des rochers. Ils étaient le Néant. Et ils volaient. Et batifolaient. C’était Les Indifférenciés.
12. L’œil jaune, les écailles, les dents tranchantes du Néant. Et ils volaient. Et batifolaient. Et c’était cela le Néant puisque Dieu n’avait pas parlé.
13. Leurs carapaces brillaient infiniment sous les étoiles, et les étoiles aussi c’était des dinosaures : d’autres carapaces — et toujours l’œil jaune, les écailles, les dents tranchantes : animaux et pas moins plantes, rochers…
14. Et au milieu la Croix, et à Ses pied les lunettes de ma mère. Ou bien une robe, la bleue de mon mariage, enfin quelque chose, peut-être un livre… Il y avait forcément ma mère. Et Daphné. Et les dinosaures : des millions de lézards énervés !
15. C’est là-dedans que Dieu a taillé l’homme. Dans ces arbres qui étaient des dinosaures, dans ces bactéries qui volaient, dans ce sang froid, dans ces écailles, dans ces stalactites. Il a fait l’homme à Son image, c’est-à-dire qu’Il lui a interdit d’être un dinosaure.
16. Hélas l’homme, à peine créé, voulut voler. Il batifolait. Et la femme, qui l’embrassait, avait un goût de dinosaure. Ensemble, ils mirent au point la Culpabilité.
17. J’insiste : Dieu a taillé l’Homme dans les écailles des dinosaures. Il l’a taillé dans le Temps a priori. Puis Il a détaillé dans l’Homme la bouche de la Femme.
18. Et a greffé leurs cœurs à la Croix de Jésus Christ.
19. Et ma mère était là, dans sa robe bleue. Dieu a choisi pour son âme un bois capable de saigner. Et Il lui a interdit d’être un dinosaure : Il l’aimait.
20. Le Néant, depuis ce jour, n’existe plus — parce que ma mère a été nommée.