Sur les noces de Cana (Jn 2:1-11)

Comme on sait, c’est le premier miracle, le début de la vie publique de Jésus. C’est aussi la première intercession de Marie : “Ils n’ont pas de vin”. L’Ancien Testament était un apéritif, le vrai vin va venir. Le vrai repas. Jésus ne répond pas oui explicitement, mais Marie est trop pleine d’espoir pour croire un instant qu’il puisse en être autrement. Après L’avoir prié, elle se tourne vers nous tous : “Tout ce qu’il vous dira, faites-le”.

Alors Jésus nous dit : “Remplissez d’eau les jarres.” Et : “Maintenant, puisez.”

Ce miracle a lieu lors d’un mariage, ce qui est tout sauf anodin : c’est par l’amour des êtres entre eux que l’amour de Dieu, et l’origine divine de l’amour sur lequel la famille est fondée, nous est révélé.

L’Évangile pourrait presque s’arrêter là ! Nous devons remplir d’eau la jarre (c’est-à-dire nous remplir d’Esprit Saint grâce aux Sacrements et à la Parole, et nous devons puiser, distribuer…”

(Voir le Père Plet : Le livre des sept secrets).

Que dire dans cet évangile de l’absence de Joseph ? Pas un mot à son sujet. Mais c’est le silence ici qui nous en parle, de Joseph le silencieux. S’il n’est pas là avec Marie et Jésus dans cette célébration de l’amour c’est qu’il n’est plus sur Terre du tout. C’est ici qu’on l’apprend. Le père adoptif charpentier a rejoint le Vrai Père, qui était aussi le sien. Il est là donc : en Jésus… Il est ce Vin. Marie le sait. Elle est mère et épouse, femme et fille. Il fallait que le père adoptif soit rappelé au Vrai Père pour que l’heure du Fils vienne.

Personne n’ignore à quel point une veuve pense au mari qu’elle a aimé lorsqu’elle assiste au mariage des autres : elle n’a plus de vin… Et pourtant, avec la résurrection des morts, le vin de l’amour lui sera rendu.

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Qu’est-ce qu’une œuvre d’art ? (en vrac)

L’œuvre d’art ajoute quelque chose au monde de tout à fait neuf. Qu’est-ce qui est tout à fait neuf dans l’univers à part l’œuvre d’art ? L’œuvre d’art n’aurait pu être faite par personne d’autre. Qu’est-ce qui dans le monde des hommes n’aurait pu être fait par personne d’autre, sinon une oeuvre d’art ?

L’œuvre d’art ne s’approprie pas. Contrairement à un objet de décoration, ou à un divertissement, celui qui achète une œuvre d’art sent que cet objet ne lui appartient pas tout à fait, même s’il est accroché au mur de son salon, acquis, assuré… S’il le casse, il n’ose pas prévenir l’artiste. Il a honte, car cet objet en fait ne lui appartient pas.

L’œuvre d’art coûte cher à tout le monde. L’acheteur considère qu’il a trop payé, l’artiste considère qu’il a trop donné, car l’œuvre elle-même s’accapare la valeur, elle pompe des deux côtés.

Une fois que l’œuvre d’art a été accouchée, l’artiste est seul avec lui-même : il se déteste. Il se découvre tel qu’il est. Souvent, il se convertit. Ou bien il entre en dépression. Et sinon, eh bien ce n’est pas véritablement un artiste, et ce n’était pas vraiment une œuvre d’art.

L’œuvre d’art est une production humaine totalement neuve, parasitaire, inimitable et inappropriable. Si l’homme peut créer une chose totalement neuve, parasitaire, inimitable et inappropriable, alors il ressemble un peu à Dieu, et il peut créer un dieu.

L’œuvre d’art doit être une pure forme. Qu’est-ce qui parmi les productions humaines, hormis la souffrance, n’est le symbole de rien d’autre, et ne veut rien dire d’autre que soi-même ? La pratique artistique ressemble à la souffrance, c’est pourquoi bien souvent l’artiste souffre, mais l’oeuvre d’art elle-même ne ressemble pas à la souffrance, elle ne ressemble à rien, c’est une pure forme, elle capte la valeur sans la rendre, elle est neuve, inimitable, inappropriable et parasitaire. Elle est divine, mais elle n’est pas Dieu, elle ne représente pas Dieu. Elle est elle-même. Elle ne représente qu’elle-même.

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L’ouverture du ciel

1. L’ouverture du ciel ce jour-là, ah et ses veines blanches, ah sa texture d’œuf.

2. Les cheveux du ciel lorsque Gaëlle Calvignac m’embrassait. Les voussures noires du vent.

3. Le ciel, le ciel noir et blanc, le ciel épais sur la cour des cinquièmes ; le ciel noir, épais et blanc avec sa texture d’œuf, avec les voussures noires du temps sur la cour des cinquièmes.

4. Sainte-Marie brûlée d’amour, ô mon premier, mon naïf et noir amour.

5. J’aimais Gaëlle, je l’aimais par-delà les voussures noires du vent. Pardonne-moi Gaëlle si je ne savais pas aimer.

6. C’était la première fois, nous étions dans la cour des cinquièmes, dans le cirage noir et blanc du ciel de la cour des cinquièmes.

7. J’avais trouvé l’ange blond de sa langue. Un fil d’argent liait nos bouches. J’avais trouvé l’ange blond et silencieux de sa langue.

8. Seigneur c’est toi que j’embrassais. C’était sous le ciel blanc et parfait, sous les voussures noires du vent : c’était ta flamme de Pentecôte.

9. Seigneur, tu nous délivres par un baiser.

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En y regardant mieux

1. Dans le miroir plat (le miroir jaune et vert d’une chambre d’enfant dont l’humidité avait gonflé — gonflé jusqu’à l’extase — la voile du parquet),

2. Ce n’était ni mon reflet ni celui, idoine, d’un oncle d’Amérique, ce n’était même pas Malcolm Lowry, ni tout à fait un être humain ;

3. Pourtant celui-là nourrissait comme chacun d’entre nous — nourrissait dans le bois marmenteau de son cœur un champignon alcoolique.

4. En y regardant mieux le jour du déménagement, quand dans la chambre il n’y avait plus rien sinon ce miroir, ce miroir jaune et vert,

5. J’y ai trouvé Jésus embrassé par Judas.

6. Seigneur, seigneur, qu’y a-t-il sur Tes lèvres que les miennes ont manqué ?

7. Seigneur… qu’y a-t-il dans Ton âme que la mienne a livré ?

8. J’y a trouvé le bois d’un lit pour dormir : l’inverse de l’action, un orviétan qu’on se saupoudre sur les yeux

9. Pour mieux les fermer — et mieux, enfin, se transformer en pierre : à l’Esprit être imperméable, comme au fond d’un lac

10. Ce qui empêchera son eau de rejoindre la Mer.

François Peltier, Le baiser de Judas (2022)
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Partout où j’ai vécu

1. Partout où j’ai vécu, j’ai été à l’écart des événements démocratiques.

2. Je n’ai jamais voté, et si parfois il m’est arrivé d’en nourrir quelque remords ce fut à l’idée du drapeau, devant ce blanc d’œuf enchâssé dans le bleu des rois et le sang des Communards ;

3. l’idée que ce drapeau entraînait à sa suite des jeunes filles prêtes à tout…

4. Sous mes fenêtres des allées François Verdier, les apprentis clochards, enfants de profs comme moi, jetaient des cocktails molotov sur les CRS pour venger Rémi Fraisse.

5. J’ai été plusieurs fois avec les gilets jaunes : je voulais voir derrière la fumée les yeux bleus des étudiantes en licence de psychologie.

6. J’ai cassé la gueule d’un flic sans faire exprès à Bayonne, l’avocat commis d’office s’appelait Cocoynaq : deux mois avec sursis, dispense de bulletin numéro deux, sept cent euros d’amende.

7. Je ne suis pas anarchiste, mais indifférent, et surtout égoïste, jaloux, je mens, j’ai passé six mois à Montréal à lire Jean Genet.

8. À Milan je me suis ouvert les veines sans faire exprès avec la tranche d’un livre. C’était Malaparte : La peau, édition Folio, plusieurs gouttes de sang. La lumière sur le Parco Sempione, l’onde, la migraine… Rien dans ma vie n’aura été révolutionnaire comme ce jour-là.

9. Seigneur, aurais-je dû m’en mêler ? La croix a des racines : elle est enracinée… Doit-on creuser la terre pour les découvrir, et prétendre les protéger ?

10. Qu’y a-t-il en moi d’impérieusement français ? Dieu de Jeanne d’Arc et de Charles Péguy, donne-moi comme à eux d’avoir été baptisé.

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Gracq et Gadenne

Relecture d’Un balcon en forêt. Je n’avais pas lu Gracq depuis la rue Letellier. J’ai peut-être été trop dur avec lui, quand je disais sous l’influence de Marien que c’était du papier peint. Le roman en tout cas est très au-dessus de mon souvenir, notamment par cette manière qu’a Julien Gracq de tout transformer en symbole sans laisser pour autant les métaphores advenir : les visages de la nature ne deviennent jamais des figures. Les symboles débordent en permanence les phrases de cristal où ils sont enchâssés. En fait, c’est entièrement écrit contre la métaphore, ce qui permet d’installer une ambigüité morale qui est précisément celle dont la guerre fut l’enfant terrible. Et ce n’est pas psychologisant comme du Blanchot (quelle merde quand même : Thomas l’obscur.)

Il y a quelque chose de Gadenne chez Gracq, mais le premier est bien plus artiste dès lors qu’il n’y a ni Dieu ni Diable chez Gracq, alors qu’on trouve chez Gadenne à la fois la présence du Dieu et du Diable et l’absence du Christ. Dans Siloé par exemple (la deuxième partie, celle du sanatorium) le poète tourne autour de ce qu’il manque à la métaphore pour advenir — c’est une espèce de théologie négative : le lecteur est sans cesse ramené vers l’ombre de la Croix, avec l’envie de dire : « Jésus, pourquoi m’as-tu abandonné ? » — tandis que dans Un balcon en forêt on jouit du fait que la métaphore n’advienne jamais : au lieu de provoquer chez le lecteur une angoisse, la phrase lui met une couverture de grosse laine sur les genoux. « N’aie crainte, dit-elle cette diablesse, le Diable n’existe pas. » Mais est-il seulement possible de faire de la littérature en évitant comme Gracq la question du Bien et du Mal ? Je n’en suis pas certain.

Dans Un balcon en forêt la métaphysique, comme souvent chez les athées, vient de l’impasse sexuelle : Mona, la fille fée. Dans Siloé, le sexe est une plante noire abreuvée à la source du déluge et nourrie sur les racines purulentes de la Genèse.
En fait, Gracq n’a pas compris que si l’on peut prier en faisant l’amour, on ne peut pas faire l’amour en prétendant que cela revient à prier.

Gadenne et Gracq avaient quasiment le même âge. Se sont-ils rencontrés ? Se sont-ils lus ?

(« Après avoir écrit ces lignes, j’ai fait quelques recherches rapides et suis tombé sur cet article : « Augereau, C. (2022) « De l’opportunité du balcon dans Siloé (1941) de Paul Gadenne et Un Balcon en forêt (1958) de Julien Gracq », Relief: Revue Électronique de Littérature Francaise, 16(1), p. 87–102. » L’article hélas est grotesque : « Paul Gadenne comme Julien Gracq ouvrent un champ d’investigation écopoétique par le biais d’un dispositif spatial nodal, le balcon. » Plus drôle encore, après dix-sept pages, la conclusion de l’auteur : « De l’ensemble de ces observations, il est possible de conclure qu’en dépit de son exiguïté, l’espace circonscrit du balcon ne réduit pas le champ d’investigation du romancier. »)

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Variations miraculeuses

pour Axel Arno

Jamais les dispositifs hi-fi n’ont été aussi nombreux et efficaces ; autrement dit l’on n’a jamais entendu la musique autant et aussi bien. Autour de nous elle est partout. Dans le métro elle pleut à travers une enceinte incorporée au plafond. Dans la rue elle se déploie par des embrasures plastifiées. Elle est aussi dans le bus, dans ma voiture, dans le hall de gare, dans les jardins, dans les parkings, dans les casques audio ainsi que dans ces appareils « airpod » dont la plupart de nos contemporains s’enfoncent le supplice dans les oreilles. Grâce à la technologie elle semble avoir obtenu les trois pouvoirs divins jalousés par Satan entre tous : je peux écouter les Variations Goldberg comme si j’étais moi-même à l’intérieur du piano (incarnation) pendant que Glenn Gould les joue (résurrection) et qu’il les joue tellement bien que j’ai la certitude d’être en présence du grand Jean-Sébastien Bach (transsubstantiation).

Pourtant, le compte n’y est pas. Je ne suis jamais rassasié. Ce qui a l’air d’une saillie amoureuse entre musique et technologie finit en stérilisation forcée : celle-là empêche celle-ci d’avoir lieu en prétendant la transporter partout. Très vite, je m’ennuie. D’ailleurs il est extrêmement rare que j’écoute de la musique sans faire autre chose : conduire, lire, dormir — et je m’éclate au lieu de me rassembler, je me disperse plutôt que de me concentrer, je me divertis quand je devrais me convertir ; de sorte qu’à la fin de la journée je réalise que non seulement la musique ne m’a sauvé de rien, mais qu’en plus elle m’a peut-être empêché de vivre vraiment. En fait si je n’en avais pas écouté, j’aurais sans doute été plus attentif, c’est-à-dire plus vivant.

Le jour où me viennent ces réflexions, je décide d’assister à un concert ; là-bas au moins serai-je obligé de dévisser mes oreillettes. Quand je dis « concert », je ne parle évidemment pas de guitares électrifiées, accords saturés, murs d’enceintes, computeurs et électrons en surchauffe ; mais de vrais instruments en bois, cordes et laiton. Encore mieux : un concert de piano, rien d’autre, sans microphone. Oui oui ça existe. À l’époque de Netflix et des épidémies, il y a encore des gens assez fous pour côtoyer d’autres gens dans un lieu dont ne sont jamais tout à fait absents les risques d’incendie et d’attentat.

M’y voilà. Il me semble être dans une crypte avec les premiers chrétiens. Nous résistons à la médiocrité, à la paresse, au relativisme et à la morale pharisaïque ; en tout cas j’essaye de m’en convaincre.  L’homme assis à côté de moi est seul, costume, cravate austère, sourcils frangéliciens, parfum cachou Lajaunie, mains élégantes et parcheminées. Je me demande un instant s’il ne s’agirait pas d’un de ces réactionnaires pour qui la mélancolie est une théorie politique, ou bien d’un genre de contemplatif scolastique. Quoi qu’il en soit il n’a pas l’air moderne moderne. Peut-être me suis-je gouré d’endroit ? Un concert après tout n’est-ce pas un fossile d’asservissement socioculturel : une injonction dérisoire et has-been ?

L’arrivée du pianiste me tire de mes élucubrations. Il est jeune, trente ans je dirais, d’apparence facile, il ne porte pas la cartoonesque queue-de-pie dans laquelle je m’attendais à le trouver mais une veste sobre sur chemise à fines rayures et chino bleu nuit. Je remarque également qu’il est musclé, et en particulier que ses clavicules sont tenues par des trapèzes de taurillon, alors que Glenn Gould à son âge était l’image même de la gracilité. Mais ce qui m’étonne le plus, c’est le halo de lumière floue autour de ses mains.

Je vous le donne en mille : il joue les Variations Goldberg.

Au début, je panique. La musique est loin. Quelqu’un tousse. J’y vois mal. Une dame derrière mon épaule respire comme une pompe à vélo. Un homme au fond de la salle a le rhume des foins. Je me dis que j’aurais mieux fait d’écouter un disque chez moi. Puis le pianiste insiste, il se passe un truc, il touche l’instrument comme si c’était quelqu’un, je comprends qu’un mélange est en train de se produire entre des énergies soudain fixées par un rayon cosmique. Dans ma chair (c’est-à-dire dans cet organe qui me donne accès à l’espace et au temps) des points jusque-là disséminés se rassemblent et chauffent de plus en plus. Le feu prend : il me prend. Le spectre harmonique n’est plus un vague concept superfétatoire mais, survenue devant moi, une réalité aux arêtes scintillantes ; comme si le piano avait accouché de mon ange tutélaire et que celui-ci me serrait affectueusement la main. J’ai tout à coup la certitude d’être en vie et de ne pas l’être pour rien.

Le concert se termine par les célèbres ostinati mauves et dorés de l’Aria da Capo è Fine. C’est alors que mon voisin quitte sa chrysalide de notaire luthérien, étend les stridulations de sa morale, allonge ses bras veineux, écarquille des yeux de monstre marin et hurle — hurle au-delà de toute barrière civique : « bravo ! bravo ! » J’applaudis et je ne crie pas moins. Le pianiste vient pour nous d’incarner, de ressusciter et de transsubstantier Jean-Sébastien Bach. Il l’a vraiment fait ! C’est possible, donc, cela peut arriver ; mais il faut avoir débarrassé la musique de ses oripeaux technologiques, de même qu’il faut avoir compris que si elle existe en vérité c’est précisément parce qu’elle ne peut exister qu’en vérité.

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Heureux dans la forêt

1. Heureux dans la forêt, quand sous mes pieds craquaient des chrysalides, M.Antoine passait au loin avec sa 4L, j’avais trouvé une bauge de sanglier, mes genoux saignaient, au moins j’avais de quoi pleurer;

2. Heureux quand à l’église je léchais la cire encore bouillante des bougies, et autour de moi l’encens dansait comme un ventre de femme ;

3. Heureux dans la justice calme du dimanche, la veille des examens ;

4. Heureux dans l’alcool fort, heureux sous la Grande Serre, heureux dans les lèvres coupées de la télévision ;

5. À Ville-Haute au milieu des packs de bière, près de la porte du Pain, avec des filles, avec des cigarettes insensées ;

6. À Grand-Montrouge quand on ouvrait des huitres par moins quarante et qu’on s’aspergeait de vodka, et Pennekamp lisait devant la cathédrale : “L’oreille de mon cœur est devant vous, Seigneur ; ouvrez-la…”

7. À Charleroux près de la Bonde, à travers les mensonges, à travers la sinusoïde d’un ordinateur ;

8. J’étais heureux parce que je portais un chapelet à la ceinture, je m’allongeais devant l’autel de Notre Dame des Champs, je lisais Blondin, je me bagarrais avec des étudiants en école de commerce ;

9. La peau des joues agrafée à Sa Croix, défiguré par mon sourire, j’étais surtout heureux qu’Il eût donné Sa vie pour moi.

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Mandarines

Mandarines…

De la lumière qu’on mange, sous l’épluchure vermiculée ;

Petits soleils acidulés, zeste d’été sur l’arbre mort ;

Sucre d’hiver comme on dit “le sel de la terre”, molécules de Noël ;

Ombres orangées sur les joues des enfants.

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Paraboles

Ici les phrases gonflent, on les touche, voilées, et les retient en fin de compte moins qu’on ne les emporte ;
Le langage est boisson, nourriture vivante, et la phrase est contredite, les idéalismes, les monismes, tous les impératifs sont contredits.

Ici le langage est boisson…
C’est la mer allée dans son manteau d’algues et d’étoiles, l’odeur empêchante du jus de citron, la texture saline des glaciers, la dialectique insondable des lacs et de la vase quand des bulles éclatent à la surface, à cause des crabes amoureux : leurs coups de ciseaux.

Nourriture vivante…
Le pain de chaque jour n’est le symbole de rien, et n’est pas un aphorisme ou une punchline ; mais du pain, le vrai pain, celui qu’on donne aux canards du Jardin quand il est dur, la croûte, le quignon devant la tonnelle ; celui de la sauce au fond des assiettes, et des prisons.

et la phrase est contredite…
Les épis pousseront malgré le vent, à travers la meule crétoise, dans la stupeur clinique et la falsification du calcaire, où ils grelotteront comme des insectes.

Les idéalismes…
Le chien dix fois, cent fois frappé par celui qui ne veut être son maître, reviendra toujours à la caresse, y reviendra malgré les coups, les injures ; bâtard d’Un homme avait deux fils…, galeux et inconséquent, miséricordieux.

Les monismes…
Les ouvriers de la onzième heure près de ceux de la première, maigres, affamés, le dos détruit par le labeur, sur la place du village, la place proverbiale du village, tendent leurs mains à une aumône qui n’est pas celle de Minos : soixante millions de pièces d’argent.

Tous les impératifs…
Dans la main l’eau pure donneuse de vie, ses reflets satinés, son sable, son mystère désaltérant, sa caféine, son tambour, ses formes imprévisibles, sa goutte inexplicable ; il suffira de boire cette eau pure!

…sont contredits.
Absence du juge, sa chaise vide, absence du maître d’école, personne pour lire la conclusion de son livre idiot. Un rayon de soleil traverse la vitre froide et sale du labyrinthe. Une vérité impréhensible et une justice incompréhensible, tisonnées d’amour, dirigent la Vie de qui-sait-écouter vers ce point du Temps et de l’Espace que l’Éternité, par amour, a marqué d’une Croix : tout droit vers la Beauté !

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Les lézards

On avait mis le piano là pour cacher les lézards que j’avais dessinés au feutre rouge tandis que mes parents dormaient dans la pièce à côté. Je croyais leur faire plaisir. Quelques mois plus tard la chambre de mes parents est devenue la mienne, on a donné la mienne à ma sœur et la sienne à mon frère. Ils ont mis son piano. Do fa / do# do — Ces notes, Diane les frappait, elle les frappe peut-être encore. Les lézards si on les met dans un piano et qu’on joue assez fort — on jouerait par exemple les Variations Goldberg, en tout cas c’est ce que moi je jouerais si j’étais à sa place — les lézards lèvent leurs pattes et rampent sur le ventre. En fait, ils se souviennent. Ils miment l’Âge des Serpents.

Ont-ils eu quelque plaisir, mes lézards rougeoyants ? Qu’ont-ils dealé dans l’ombre ? Qu’ont-ils chevillé dans les méandres des doubles-croches ? Je les imaginais, virgules grotesques, dans la poix, tandis qu’elle jouait.

Do fa / do# do

Mon père ne m’a pas grondé fort. J’avais voulu inventer Lascaux : il comprenait. J’étais entré dans l’histoire. Au feutre rouge j’avais corrigé les phrases d’un roman gravé dans le plâtre.

Maintenant si on les brûlait ces lézards ? Si dans le ventre du piano on lançait un cocktail molotov ? Tu imagines les grésillements que produiraient les flammes si seulement elles étaient vivantes, musclées, venimeuses et surnuméraires ? J’y ai pensé, puis moins. J’ai appris à dessiner les oiseaux.

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Journal d’Anton B.

Lecture du Journal d’Anton Beraber sur Instagram (@arouetditv). Je ne comprends pas pourquoi les lecteurs d’aujourd’hui ne sont pas à plat ventre devant Beraber, qui est sans aucun doute le meilleur styliste de notre génération, avec Marien. Difficile d’ailleurs de pas être tenté de l’imiter. Mais si on essaye tout de suite on s’aperçoit que la « façon » n’est qu’à lui. J’aime les fusées éclairantes qu’il lance quand on ne l’attend pas vers les grandes figures mythologiques, vers la politique internationale, ou vers les clefs de voûte éthiques. Il les lance, ça éclaire, puis il détourne les yeux, il rallume la télévision, il s’en fout, il se gratte les ongles des pieds, il s’étonne. Tout l’étonne. Il se rend disponible.

Je lui laisse un message tiens : « Ah, Beraber ! On aura raison d’être sur cette saloperie d’Instagram rien que pour lire ton Journal. C’est dix mille mètres au-dessus de tout ce qui est écrit ailleurs, imprimé ou non. Y a cette manière que t’as de détourner l’objet de la sensation qui était prévue pour lui. Puis y a aussi ces fusées éclairantes que tu lances dans la phrase, quand on s’y attend le moins, derrière un bourrelet adverbial que t’as tassé à un point virgule comme de la poussière de pain — ces fusées éclairantes que tu lances vers des universaux dont les auteurs de nos jours ne se donnent plus la peine de discuter la coextensivité. Puis y a ces étonnements qui confinent parfois au romantisme, mais qui dans ta semoule réaliste donnent quelque chose de plus naïf et de plus sombre que le romantisme : un werthérisme de fin de soirée, quand la peau des filles devient comme de la mue de serpent et qu’on ne sait pas très bien si oui ou non il faudra laisser un billet sur le meuble à l’entrée. Putain, je vais même finir par aimer tes photos. »

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Le Navire de bois, Hans Henny Jahnn

Je ne connaissais pas Hans Henny Jahnn. Je vais tout lire. Dans Le Navire de bois, je trouve quelque chose qui me manquait chez Hermann Broch, et même chez Junger que j’ai tant aimé, ou chez Gunter Grass. Le symbolisme de HHJ est plus latin. Puis il y a ces phrases nominales. En revanche c’est sans Dieu. Même l’hypothèse de Dieu n’y est pas. C’est du protestantisme sans la veine palpitante de Luther, ou le lyrisme d’un Herman Melville : Achab ne sait même plus sur quoi il est censé lancer son harpon. Et il y a du Kafka, évidemment, celui du Voyage en Amérique, l’absence de l’absence de Dieu ; dès le début du roman le père prétend que le fiancé ne peut pas monter à bord du bateau parce que « ce n’est pas prévu », voilà qui est très kafkaïen, on nage dans le pétrin administratif, dans des formulaires en forme de flammes de l’enfer ! Ce qui fait le particularisme littéraire du symbolisme de HHJ (et qui le différencie de Kafka ou par exemple d’un auteur comme Raymond Roussel qui par certains aspects, celui des machines avec des recoins infinis, pourrait lui aussi être comparé à HHJ) c’est quelque chose qui échappe à la philosophie, à la phénoménologie, et même à la psychanalyse, et évidemment à toute théologie … Voyons par exemple ce verrou qui s’ouvre depuis l’extérieur. Raymond Roussel aurait adoré ce verrou, mais l’aurait rendu plus compliqué, plus alternatif. Jamais Broch ou Junger quant à eux n’auraient osé pareil écart. Kafka aurait fait l’inverse : un verrou qui se verrouille automatiquement depuis l’intérieur au lieu d’un verrou qui s’ouvre automatiquement depuis l’extérieur. HHJ garde sa distance, le verrou reste dans l’anecdote, et pourtant il nous l’insère dans la tête, on ne cesse d’y penser dans les pages suivantes. C’est ce verrou qui emporte le navire de bois, c’est lui qui justifie que Gustav reste à bord, c’est lui qui rend le subrécargue si suspect. Ce verrou c’est moi, lecteur.

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Les Vagues, Virginia Woolf

Je trouve ça meilleur que La Recherche du Temps perdu, d’autant que l’objectif il me semble est exactement le même : recomposer la mémoire comme elle est, la rendre comestible, transmissible par métempsychose. Si j’étais psychologue, je ferais une analyse complète, et ça serait chiant, ça serait inutile, parce que c’est surtout d’un effort poétique qu’il s’agit, poétique au sens pur du terme, le sens antique, c’est un chant. C’est une résurrection. Quelle liberté ! Quelle virilité dans ce texte ! Combien il savoir être fort pour se défaire ainsi de sa gangue bourgeoise (je me souviens de l’enregistrement de sa voix que m’avait fait entendre Marien : sa voix « flutée » disait Marien ; Woolf parlait si je me souviens bien des mots qui étaient passés de bouche en bouche avant d’arriver dans notre oreille) — de sa gangue bourgeoise et des injonctions éditoriales ! S’en défaire à ce point ! Être libre à ce degré !

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Fais-nous voir le Grand Cèdre

  1. [À ce grand homme à la peau très blanche, qui portait des rangers et un couteau à la ceinture ; il s’était autoproclamé “gardien du quartier”. Je n’ai jamais eu peur de lui… Tard la nuit, bourré, il donnait des coups de poing dans le flanc de son chien, et lui griffait les yeux, pendant que moi, dans ma chambre là-haut, je lisais Joyce.]

2. Seigneur, ouvre les fenêtres. Fais-nous voir le grand cèdre. Bientôt la journée dressera ses portes de plastique : oreillettes, torrent de courriels… Je serai pris dans la sphère armillaire du manège administratif : les neuf cercles du désir. Bientôt je serai dilué dans la station de métro François Verdier, et à l’université, troisième étage, bureau 301… Je serai la pluie sur le capot d’une bagnole.

3. J’agencerai des phrases sous la gorge du Corps Livré. Je porterai ma chemise sans col, celle du clan nominaliste, et me dirai démocrate, progressiste, aérien, vainqueur, cultivé. J’inventerai des liens de chair. J’exciserai la Vérité. Si on me le reproche je n’aurai qu’à répondre en haussant les épaules : “quelqu’un l’aurait fait”. J’irai voir l’application de la Caisse d’Épargne, vérifier que j’existe et surtout savoir à quel point ; puis frapperai le distributeur de boissons pour qu’il me rende enfin la monnaie. Je frapperai de toutes mes ridicules forces. J’aurai faim hein. Je serai fatigué.

4. Il faudra que Dieu s’accroupisse sur notre misère. Qu’il aille jusqu’à la couture de notre bouche, vienne dans nos souvenirs, et sache ce que j’ai fait du talent qu’il m’a confié. J’ai oublié le numéro de téléphone de François, je suis brouillé avec Marien, je tiens à jour le répertoire de mes actes manqués, j’ai même couvert le miroir de la salle de bain avec du cirage. Ce talent je ne l’ai ni enfoui ni perdu, pas plus que je ne l’ai fait fructifier ; je l’ai livré, l’ai fondu, l’ai immérité ; je l’ai gratté dans une semoule de basalte ; l’ai vendu aux enchères ; l’ai enfoncé dans des vagins malades ; l’ai déposé sur les yeux d’un mourant à l’hôpital. Voilà ce que font les artistes de nos jours au lieu de se convertir : ils trahissent…

5. Ils me font marrer quand même les artistes. Ils bricolent des discours débiles. Ils vont à des foires, ils montent sur des estrades pour parler, publient sur Instagram, stratégisent, supplient les éditeurs et les galeristes, ils les sucent, ils se vendent à des agents, se travestissent, répondent à des journalistes en prenant un air modeste et sérieux, ils conspirent contre la Beauté et la Vérité, ils font semblant d’avoir des opinions révolutionnaires en disant je cite “il faut préserver l’environnement”, ils se vautrent dans des exofictions chiantes, ils s’injectent de la moraline fade, ils inventent des concepts, ils vont voir le psy gaiement, ils bouffent des légumes, ils s’intéressent au tantrisme et à la cuisine coréenne, ils candidatent pour des résidences d’écriture, ils collectionnent les subventions, ils guettent les récompenses, ils se congratulent les uns les autres, et ça marche — et plus ça marche hein plus ils se disent qu’ils ont eu raison de vendre comme ils l’ont fait leur âme à des putes et des boutiquiers. “Je suis invulnérable” préviennent-ils une fois que dans le secret de leur cœur il n’y a plus rien à violer.

6. Et malgré ça, t’es là Seigneur, je t’ai encore vu ce matin place Dupuy devant la vitrine du fromager. T’es là putain. T’y crois encore. Tu te laisses pas faire. Tu distribues le salut à la sortie du métro. Tu t’assois avec les clochards au milieu des couvertures trouées et des cleps narcoleptiques. Tu te files avec les riches, tu les abandonnes pas, tu restes près d’eux malgré leur mauvais goût et leur égoïsme : je t’ai vu avec Lionel Parent le psychiatre, dans sa Porsche Cayenne, il écoutait Fun Radio, tu souriais… Quelle patience. Même les artistes officiels tu les laisses pas tomber. Tu les écoutes dire n’importe quoi. Tu les accompagnes dans les expositions de province. Tu les aides à trouver des subventions. Tu plaides leur cause auprès des éditeurs débiles et des galeristes suffisants. Tu les encourages. Même les curés apostats tu les soutiens.

7. Tu es debout dans ta Parole. Tu te tiens tout entier dans tes phrases. Tu a recouvert les paraboles de ton fils d’un manteau de chair : muscles, nerfs, conduits visqueux, foie, sexe, ongles, poils, papilles. Ton sang ne parle pas mais ta Parole a saigné. Personne ne peut plus t’empêcher de dire la Vérité. Quand Miclo est morte tu étais là avec maman et moi à la morgue, dans l’ombre. Quand Octave a été opéré, tu étais avec Daphné et moi à la cafétéria de l’hôpital. Quand dans l’enfance je me suis perdu en montagne à travers le brouillard et les rideaux d’eau de pluie, quand à l’adolescence il y a eu cette bagarre générale sanglante, quand je me suis retrouvé en garde-à-vue à Bayonne, et puis en Serbie quand la neige tombait sur les tanks et les DCA de la forteresse de Kalemegdan, et puis au milieu des gratte-ciel de Montréal quand je suis devenu quelqu’un d’autre, toujours tu étais là, chair et âme, Paraclet, et toujours, toujours Seigneur tu parlais…

8. Tes paroles ne passeront pas. Tu ne les laisseras pas passer. Tu leur as construit une première capsule : le peuple Hébreux ; puis un vaisseau : le mystère de l’Eucharistie doublé de celui de la Croix. Ainsi sont-elles prémunies contre les flammes de la race. Aucune réforme n’en viendra à bout. Elles sont impossibles à rééduquer. Elles seront toujours là, sur Terre, dans leur reliure pleine peau.

9. Les andouilles et les assassins marchent devant eux comme Descartes le leur a enseigné: les yeux fermés, les oreilles bouchées. Ils ne veulent ni lire ni entendre ta parole. Parfois ils se télescopent, alors ils ont l’impression d’avoir rencontré un ange, ils se roulent des pelles entre semblables, ils enfoncent leurs doigts dans les yeux et les oreilles de ce supposé ange, ils en pleurent de joie, ils se haïssent eux-mêmes en croyant adorer quelqu’un d’autre, le désir les ronge, puis l’autre s’en va, la solitude revient, la marche aveugle recommence.

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L’espace public habermassien

Une grande tarte plate. Les fruits n’ont pas été dénoyautés. De petits fruits même pas appétissants. On ne sait pas très bien si ce sont de grosses cerises gorgées d’eau ou bien des abricots trop petits. Beaucoup de monde autour de la table : des vieux, des enfants, des couples. Tous ont l’air sérieux, ils le prennent en tout cas, se forcent à le prendre, et ont faim. Ils se savent importants : une espèce d’aristocratie libérée de la chrysalide de la Tradition. Ils sont sûrs désormais de ne pas mourir de faim. Ils attendent le coup de sifflet, c’est tout. Devant eux c’est la tarte éblouissante de la liberté. C’est la démocratie. C’est le progrès. Ils se disputent un peu en se demandant comment on va la couper, mais ils sont assurés d’en avoir chacun une part, aussi la dispute ne va-t-elle pas trop loin, quelques yeux crevés rien de plus. Le coup de sifflet ne vient pas. La tarte pourrit sous leurs yeux. Dieu a déménagé chez les fascistes, c’est ce qu’on raconte autour de la table. Ils finissent par y mettre un peu les mains sur cette fameuse tarte. Ils se barbouillent sans manger. Ils se plaignent. Ils y croient encore. Ils se sentent élus. Ils veulent vivre longtemps. La mélancolie leur donne soif. Ils collectionnent les autocollants européens. Ils sont inscrits à la Sorbonne pour la rentrée prochaine. La tarte fond. Bientôt elle n’est plus qu’une flaque de soupe qui sent les pieds. Mais ils en veulent. Ils en rêvent. Ils jurent que c’est ça la solution. Il faut ABSOLUMENT que ce soit ça. Ils l’ont appris à l’école. C’est la tarte éblouissante de la liberté, la démocratie… C’est le progrès.

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Chat

Cette nuit un chat s’est installé dans ma gorge. Il aura profité que j’étais mené par le bout du nez cette fois encore par l’assassin qui prétend dans mes rêves être l’ombre d’une femme (pour le dire autrement je dormais la bouche ouverte). Il a fait son nid d’abyssin dans le département du langage. Il a léché mes glandes avec sa langue sèche, agile, râpeuse. Un gros matou éborgné, une boule de poils 1920, un hyperchat aux yeux jaunes. Tout de suite il a roucoulé, et moi je m’étouffais, et j’essayais d’appeler à l’aide, inondé de feutre, pendant que lui l’envahisseur au pelage mauve miaulait comme une courtisane!

Quand les premières lueurs ont plié le point du jour, la bête a eu faim. Elle a mangé la bibliothèque. Un à un mes souvenirs se transformaient en hachis parmentier. Je toussais, débile, illettré ! J’étais neuf et sincère comme un nouveau né ! Ce petit salopard dans mes entrailles avait les moustaches trempées de bile et de sang ! Il purgeait mon cerveau ! La panthère mangeait l’hippocampe !

Bien repu, lourd et ventripotent dans la flaque encore fumante de mon passé, installé dans son poil lisse et gras de lionne, il a baillé le traître. On voyait les canines longues et tranchantes. Puis il a quitté ma gorge à midi. En ouvrant les yeux je me suis rappelé que j’avais beaucoup bu et fumé hier soir. J’aurais sans doute conclu que tout ça n’était qu’un cauchemar idiot s’il n’y avait eu sur le lit ces inflexions régulières du drap. Je me suis éclairci la gorge et quelques minutes plus tard, en ouvrant les volets… je ronronnais.

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Madame Courrège

À côté de chez nous habite une maison abandonnée. Les briques pullulent. Les fenêtres à moitié neuves jamais ouvertes dégueulent une lumière crayeuse. Dans les hauteurs c’est le peuple des pigeons, rats célestes, anges dégueulasses. Les tuiles sont neuves, et tout est plus ou moins neuf, mais déjà mort, momifié, jamais utilisé. Des câbles électriques pendouillent ; pendouillent aussi des mousses soyeuses et de la laine de verre comme de paupières infestées. Faut se rappeler dans quelle époque on vit. Plein centre ville : immortalité administrative, partout laideur et connerie.
La maison appartient à Madame Courrège, un petit morceau de femme très maigre encapuchonnée toujours dans le même imper dégueu, noir, et planquée sous un bob bleu foncé, avec des grandes lunettes de plexiglas dans le genre de celles qu’utilisent les soudeurs de chantiers. Elle est aveugle, en tout cas c’est ce qu’elle dit. Elle s’accroche à sa canne blanche d’apocalypse. Elle est méchante. Elle est drôle. Elle me traite de voleur. Elle n’en a rien à foutre des fientes de pigeon ; elle fera rien pour les enlever, j’ai qu’à passer le jet d’eau si je suis pas content. Persuadée que sa maison est un palais, aveuglée jusqu’à l’âme, elle veut la vendre pour le prix du Taj Mahal, mais c’est surtout une bonne raison de pas la vendre, car cette maison c’est son seul ami, son gros animal, c’est sa divine folie. Tous les jours elle lui rend visite, elle quitte son hospice rempli de bébés vieillards morveux puant la soupe et le désinfectant, prend le bus je sais pas où, puis arrive rue Idrac comme une ancienne reine, elle monte dans sa tour, elle ouvre les fenêtres, elle caresse les pigeons comme des chats, et elle se fout à poil sur sa terrasse là-haut, et si ça se trouve elle était déjà à poil en arrivant sous son grand imper sale. Elle se croit au paradis. Elle adore être aveugle. Elle chante des trucs porno en latin. C’est un ange. Dieu la brûle. Elle le voit. Elle s’en fout. Elle chiale un peu pourtant. Elle essaye de téléphoner à son fils. Puis elle remet son imper tranquillement, elle se déguise à nouveau en petite sorcière provinciale, elle referme les fenêtres, lentement, elle se frotte un pigeon mort sur la langue, et on la voit repartir dans la rue Idrac, clopinant avec sa canne blanche de Gandalf, elle marmonne, elle bave, elle ricane, elle reprend le bus et rentre dans son hospice où elle jouera la folle jusqu’à demain, au milieu des reliques puantes et des infirmiers débiles.

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Boutang

Phacochère celte, platonicien…

Quand l’étésien entre dans la Sorbonne…

Troisième ligne thomiste…

Moine-soldat…

Maurrassien plus intelligent (plus humble, plus poète, plus linguiste, plus chrétien, plus français même, plus fidèle, plus antisémite : un antisémite sioniste…) que Maurrass…

Mur mûr…

Ours philosophe, celui qui a transformé la Caverne en Purgatoire…

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Interchangeables parlementaires

Il me semble que plus personne parmi les politiques ne croit en une quelconque forme de mystère (sinon dans la vie privée, ce qui revient du point de vue de la politique à ne pas y croire), de sorte qu’aucun de nos députés n’oserait prononcer à l’Assemblée les mots “âme”, “salut”, “humilité”, “vie”, “art”, “beauté”, “patrie”, “destin”, “héros”, quand il faudrait non seulement avoir recours à ces mots, mais surtout en promouvoir l’équivocité qui, seule, est susceptible de servir de terrain à une dialectique nationale, et de terreau à l’expression d’une volonté populaire (si jamais une telle volonté existe encore en France, ce qui est loin d’être évident). La pluie de vocables vides (laïcité, croissance, culture, créativité, bienveillance, système, flexibilité) n’est pas un symptôme du mal mais le mal lui-même, car en effet lorsque les puissants utilisent ces mots vides le Vide devient puissant, et à la fin c’est lui qui règne, c’est lui qui envahit, il s’immisce, il déconstruit, il nous envoie ses architectes de l’enfer pour ravager nos villes… L’extrême gauche, l’extrême droite, l’extrême centre, les bourges libéraux, les ploucs donneurs de leçons, les petits inquisiteurs connards, les apôtres de la laideur, les militants bourrés jusqu’à l’os de certitudes républicaines sont les interchangeables missionnaires du Vide. Leurs ancêtres, qui réclamaient une langue univoque, ont mis au point une langue vide, et ont donné ainsi le pouvoir au Vide, le Vide qui effectivement est univoque, sans référent, à la dérive dans le Rien, et mélange sous ses ailes les votes, les manifestations, les prises de parole en un même bouillon médiatique, un hypermarché déréalisant, unique et interminable divertissement hollywoodien, dans lequel pataugent les derniers hommes, c’est-à-dire les abonnés à Netflix qui croient que rien n’existe qui ne soit pas accessible à la raison d’un abonné Netflix, et qui votent pour élire des députés eux-mêmes abonnés à Netflix parce que décidément “c’est important de voter“.

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