Ici les phrases gonflent, on les touche, voilées, et les retient en fin de compte moins qu’on ne les emporte ;
Le langage est boisson, nourriture vivante, et la phrase est contredite, les idéalismes, les monismes, tous les impératifs sont contredits.
Ici le langage est boisson…
C’est la mer allée dans son manteau d’algues et d’étoiles, l’odeur empêchante du jus de citron, la texture saline des glaciers, la dialectique insondable des lacs et de la vase quand des bulles éclatent à la surface, à cause des crabes amoureux : leurs coups de ciseaux.
Nourriture vivante…
Le pain de chaque jour n’est le symbole de rien, et n’est pas un aphorisme ou une punchline ; mais du pain, le vrai pain, celui qu’on donne aux canards du Jardin quand il est dur, la croûte, le quignon devant la tonnelle ; celui de la sauce au fond des assiettes, et des prisons.
et la phrase est contredite…
Les épis pousseront malgré le vent, à travers la meule crétoise, dans la stupeur clinique et la falsification du calcaire, où ils grelotteront comme des insectes.
Les idéalismes…
Le chien dix fois, cent fois frappé par celui qui ne veut être son maître, reviendra toujours à la caresse, y reviendra malgré les coups, les injures ; bâtard d’Un homme avait deux fils…, galeux et inconséquent, miséricordieux.
Les monismes…
Les ouvriers de la onzième heure près de ceux de la première, maigres, affamés, le dos détruit par le labeur, sur la place du village, la place proverbiale du village, tendent leurs mains à une aumône qui n’est pas celle de Minos : soixante millions de pièces d’argent.
Tous les impératifs…
Dans la main l’eau pure donneuse de vie, ses reflets satinés, son sable, son mystère désaltérant, sa caféine, son tambour, ses formes imprévisibles, sa goutte inexplicable ; il suffira de boire cette eau pure!
…sont contredits.
Absence du juge, sa chaise vide, absence du maître d’école, personne pour lire la conclusion de son livre idiot. Un rayon de soleil traverse la vitre froide et sale du labyrinthe. Une vérité impréhensible et une justice incompréhensible, tisonnées d’amour, dirigent la Vie de qui-sait-écouter vers ce point du Temps et de l’Espace que l’Éternité, par amour, a marqué d’une Croix : tout droit vers la Beauté !