La Vraie Croix

Dieu nous a faits à son image : cela signifie-t-il qu’il a fait notre douleur à l’image de la sienne ?

Comme il serait dissemblable à Dieu, l’homme qui comparerait la nature de sa souffrance à La Sienne — trop dissemblable, peut-être, pour être encore un peu humain !

Et si c’était cela le fruit de la connaissance, cueilli avant tous les siècles à la branche du protoplaste : « Ne croyez pas que votre souffrance peut ressembler à la mienne, ou bien vous mourrez » ?

Certains diront que la douleur de Dieu ressemble de toute évidence à celle des hommes : le feu dans la plaie, la mort injuste de l’enfant à la casquette bleue, la femme violée, le champ moghol d’où le Dernier Empereur déterrera les cadavres comme des navets. Mais si la souffrance des hommes fait souffrir Dieu, est-ce à dire qu’elles sont du même ordre ? Cela ne reviendrait-il pas à prétendre que le froid ressenti par Orphnos quand il touche de la neige est du même ordre que la neige ? Et si c’était le cas… Orphnos aurait-il froid ?

Si la douleur de Dieu était la même chose exactement que la souffrance des hommes, aurait-on besoin de Lui ? Et puisque nous souffririons comme des dieux, qu’est-ce qui justifierait encore que nous Le souffrions ?

— Seigneur, je ne veux pas boire de cette coupe…
— Sais-tu ce qui s’y trouve ?

Ah, ce serait si simple que la douleur de Dieu soit coextensive à la mienne ! Ce serait si rassurant qu’il souffre comme moi, et d’avoir ainsi la certitude de pendre (un peu) avec lui sur la Croix !

L’autre jour,devant un crucifix, un homme d’une cinquantaine d’années disait : « moi aussi je souffre, Seigneur, je suis comme toi… Pour moi aussi la vie est dure… J’ai mal… J’ai soif… J’ai froid… ». C’est alors que l’homme céda à l’une des plus rentables ruses du Diable, et que le blasphème vint sur ses lèvres : « Après tout, hein, chacun sa croix… »

La Grande Douleur de Dieu est moins dans nos douleurs que dans notre silence. Elle est dans notre civilité. Elle est dans notre art. Sa Grande Douleur est dans notre joie, dans notre appétit — et elle est bonne, puisque tout ce qui de Dieu est bon. C’est une grande et bonne et terrible Douleur, dont souffre un être infiniment bon et puissant.

Sa Grande Douleur n’est pas dans la trahison de Judas, pas plus qu’elle n’est dans les reniements de Pierre, mais dans l’idée que Judas ou Pierre, ou Simon de Sirène ou n’importe lequel d’entre nous puisse avoir un jour quelque influence sur le destin de Dieu et sache comment le faire souffrir ou comment soulager ses souffrances.

Seule Marie a participé à la souffrance de Dieu, cela parce que Dieu « sera un signe de contradiction — et toi, ton âme sera traversée d’un glaive de douleur – : ainsi seront dévoilées les pensées qui viennent du cœur d’un grand nombre. » (Lc, 2:34-35).

La Grande Douleur de Dieu est immaculée conception.

Qu’est-ce qui a mal en moi quand je médite le supplice de la Croix ? À quelle transfixion ma douleur sert-elle, chaque jour, d’instrument ?

La Vraie Croix est plantée dans notre souffrance physique et mentale, dans la prostitution, dans la bêtise, dans l’injustice, dans la torture, dans la technologie, dans la misère, dans les armes et les drogues, dans la mesquinerie, mais elle n’est pas cela. En nous libérant du péché, et en perçant le mur de la mort, elle nous a sauvés de cela.

Dieu n’a pas donné au monde son fils unique pour souffrir avec nous ou à cause de nous, mais pour nous faire don de sa souffrance. Il n’est pas venu sur Terre pour diminuer nos souffrances mais pour abaisser la sienne jusqu’aux nôtres, et mourir, non pas “à notre place” mais “pour nous”. « Son sang, qu’il soit sur nous et nos enfants ! » (Mt, 27:25)

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