[Aux cordes pincées du kinor.]
Ce soir, Tu dormiras chez moi.
J’ai tissé pour Toi une natte; attaché un baldaquin de fleurs; disposé sur le bois et la pierre la laine d’angora,
Allumé les cierges sacrés d’Indra;
Poussé devant moi les œufs du scarabée;
Dénoué les écheveaux de poussière, ceux-là qui, dans l’ombre, au fond des dames-jeannes de Cana, rougeoyaient;
Nettoyé le sanctuaire avant d’avoir grimpé d’où je verrais l’Esprit…
Hélas, voir n’est rien !
Arrache-moi à ma chaîne, Seigneur, à la partition du péché, fais-moi tomber du sycomore.
Dans la terre, plante-moi comme un grain;
Puis ouvre en moi les mâchoires d’argent, celles-là qui broyaient les cendres à Milan, dans le préservatif héroïque des nuits sans embrasser (j’avais vingt ans).
Effondre ma pomme d’Adam sur la tête échevelée d’Isaac; inverse en moi l’équerre et le compas; attache ma raison
À Ton cœur dont la raison l’ignore.
Lance-moi dans la vie d’où la poussière est née, dans les vagins de feu,
Dans la technologie du manque, dans les machines à fabriquer des pauvres.
Rends-moi pauvre, Seigneur, transforme-moi en chose,
Et secoue dans mon âme l’aiguillon de l’espoir, agace-le, frotte ma gorge aux lames de verre du réel, plonge mes pieds dans l’eau bouillante.
Je veux le fer, la corde, le lin et le champagne. La consistance. Je veux, malgré cela, l’absence… jouir,
Et que ma pesanteur enfin appartienne à Ta grâce : au lait de Ton Principe…
Descends–moi du péché de mes phrases, où j’ai cru m’élever, en mon arbre,
Et suspends-moi au Tien — et mes mains seront des clous de douceur aux paumes de Ta Croix.
Ce soir, alléluia, Tu dormiras chez moi.
