Le temps avait été vidé de sa substance. Plutôt que de venir du passé, on faisait comme pour le reste : on l’instantanéisait ; champions de la retape, du vintage et du souvenir. Les soirées avaient pour thème les années 80. On mélangeait les époques pour encadrer les photos. Aux enfants on donnait les prénoms des grands-parents – Léon, Thérèse, Edgar – en espérant que cela leur suffirait pour être originaux.
« Original », d’ailleurs, on l’écrivait partout : corn-flakes, brochures, etc.
Pour la musique, c’était pareil. Rien ne nous appartenait. On n’arrêtait plus de mixer : best-of, anthologies, rétrospectives, hommages, etc. On pressait le citron à de vieux tubes dans l’espoir d’en tirer un jus néo-conceptuel, néo-trans ou néo-rock. On était DJ ou interprètes, arrangeurs. En écoutant Bob Marley ou Franck Zappa, on croyait reconnaître notre propre déchéance, nos combats, etc. Nous finissions par nous sentir concernés par la guerre du Vietnam, incapables de parler des manœuvres en Irak.
Les chanteurs léchaient leurs micros avec la même voix, toujours la même ; la chanson n’en finissait plus d’être dépucelée : « Non rien de rien ! Non, je ne regrette rien ! »
Quant à la télévision, c’était La Grande Vadrouille, le Petit Baigneur, Le Gendarme et les Gendarmettes, du sépia, Brigitte Lahaie.
Tout était « culte », rien n’était neuf. A part les contenus d’Endemol.