Le Théâtre Français offrait autrefois à ses sociétaires une représentation exceptionnelle pour leur départ à la retraite. C’était en général un moment inoubliable (et mondain) appelé “cérémonie des Adieux”. Le sociétaire y jouait ses meilleures répliques accompagné par de célèbres homologues.
Pour ses adieux, Béatrice Bretty devait jouer trois grandes scènes. Il y aurait Laurence Olivier, Bécaud chanterait. Même Chaplin y serait.
Lorsque Chaplin entra en scène, Vivien Leigh se tut. Le grand Charlie se tenait devant nous, vêtu d’une gabardine anthracite, très aristocrate, dandy. Ce n’était pas le clown mais le penseur : Charlie, pas Charlot. Nous ignorions si le clown apparaîtrait. Visiblement, Chaplin était ému… C’est la scène qui a une Volonté. Seule la Volonté compte. Nous sommes des instruments.
Chaplin avança de profil, quand survint un événement colossal. Le penseur désaxa son corps pour incarner le clown qui avait défié Hitler vingt ans plus tôt. Trois pas, deux tours de canne : Charlie était Charlot. Il ne mourrait jamais ! La salle fut soulevée par cette canne inexistante : Hourra ! Ouais !
Pendant ce temps, les sociétaires avaient fait placer le fauteuil de Molière sur la scène (ce qui était contraire à toutes les règles de conservation des Monuments Historiques). L’administrateur proposa à Chaplin de s’y asseoir. Le fauteuil était moins cérémonieux qu’au foyer où il bâille dans sa camisole de verre. Usé, de facture moyenne, le dossier limé et les coudes éclaircis, image de théâtre: humble, nécessaire et précieux. D’une certaine façon, Molière et Charlot partageaient la scène, chacun dans un rayon de projecteur ; ils saluaient Bretty.
Charlie Chaplin avança vers le fauteuil et les deux rayons se réunirent en un seul. Je m’en souviens comme si c’était hier. J’ai vu Charlot sur les genoux de Molière !
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