“…comme une pythie dans sa chambre de fumée.”
Paul Valéry, Eupalinos.
La peau de pierre, les poutres comme un squelette : l’architecte accouche du conceptacle des familles. C’est un corps, ce corps, ce sont des corps, organisme social mais biologique, logique, appelé ville, qu’il a construit et qu’il construit, restaure ; c’est une incarnation, immédiatement une idée, principe qu’on ne formule pas avec des mots sans trahir, parce que ce principe a sept dimensions : longueur, hauteur, largeur, profondeur, densité, temps, lumière. La musique seule pourrait traduire un geste architectural.
De la santé du corps dépend la possibilité de penser, d’abord, puis la qualité des pensées, l’éventualité d’autre chose pour le peuple que la satisfaction des besoins primaires. La ville ne doit pas être entièrement explicable, expliquée, voulue. Se méfier de ce qui est trop fonctionnel comme de ce qui est trop aérien, mal incarné, bassement utile ou hautement conçu. La ville doit respirer et saigner. Elle a sa part d’ombre, c’est pour cela qu’elle tient debout. Donner un rôle aux failles, actualiser l’abîme : le néant doit trouver sa place, au moins comme hypothèse.
L’architecture est une musique solide dont la vocation est de soutenir l’être et d’échapper pour cela à l’individualisation. N’en déplaise aux rationalistes, le travail de l’architecte, comme celui du musicien, n’est pas localisé. Il est une projection convergente, plasma élastique, repli de la pierre au ciel, par-dessus la pierre, à l’intérieur du ciel, vers l’extérieur de la pierre, depuis l’essence, au-dedans d’un ciel matériel, par la pierre mais jamais jusqu’à elle, au-delà, avec, grâce à elle, jusqu’au ciel, fonction primaire, cycle légitime. L’architecte crée moins un édifice qu’il ne nourrit un mouvement commun aux édifices. La responsabilité pèse sur ses épaules d’un destin commun, c’est-à-dire qu’il est responsable du destin de ce qui est commun.