Une panne d’électricité

Il y eut une panne d’électricité un soir de mars, alors qu’il y avait encore des flocons de neige dans la pluie et des particules de givre dans le vent. Un générateur avait explosé, à cause d’un oiseau, sans doute un rapace, pris au rets des flammes, ce qui avait provoqué une réaction en chaîne et le chaos dans l’ensemble du pays. Une usine de produits chimiques fut touchée non loin de l’appartement, et l’air avait un goût de champignon. Le ciel lui était bas, l’ongle du dernier croissant n’éclairait que lui-même et le velours de la nuit tremblotait dans des mouvements de mazout autour d’une gondole, jusqu’à ce que le soir cède à une nuit sans étoiles, alors il n’y eut plus de tremblement, et si la lune ne s’était pas frayé un chemin on aurait pu croire que la lumière naturelle avait succombé en même temps que sa sœur artificielle. La nuit aurait malgré tout été moins inquiétante, car là il manquait une strate au mystère, et c’était inquiétant. Tout était noir mais rien n’était terminé ou possible. Ça ne ressemblait ni à la fin ni au commencement du monde, contrairement à ce qu’en diraient les poètes officiels. Une pause n’est pas toujours une faille ou une brèche. En fait, la ville était plongée dans l’obscurité — elle n’avait plus sa traîne orange capillarisée par le sucre des étoiles — mais il n’y avait aucune raison d’avoir peur, et en se concentrant on ne percevait pas les cris étouffés auxquels on aurait pu s’attendre. Certaines voitures avaient laissé leurs phares allumés, des bougies se faufilaient entre les rues et des lampes de poches s’exténuaient près des compteurs en vain. Des chuchotements se répondaient comme au déambulatoire d’une église, pendant que les arbres écartaient leurs branches de potence. Les vitrines des magasins étaient cassées, les pilleurs avaient travaillé sans précipitation. Les restaurants, les bistros étaient fermés. La rosée fut plus prégnante que d’habitude, au point qu’après minuit toute la ville était trempée. Ni pluie ni tonnerre, aucun événement pourtant… Juste la nuit. Et pas d’électricité.

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Guillaume Sire
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