Chateaubriand me fait penser à des couverts d’argent dans de la vieille soupe, une assiette à motifs, des pompons argentés sur un étang, à la dérive, ou bien est-ce les plumes d’un cygne amoureux d’une bûche. J’aime chez lui cette langue française cliquetant dans les perles, et les claques qu’il donne avec sa chevalière à des bouquins balèzes qu’il adorait pendant l’enfance. Et par-dessus, j’aime la morale, l’ombre velue du père, le vacarme énorme et irrégulier de ses pas sur le parquet. Chateaubriand au fond est un matérialiste propre. Tout chez lui est propre. Ses instruments sont propres, sa phrase parfaite, propre… Quand il a fait l’amour il s’essuie la bouche, ce qui pour un écrivain est un crime de lèse-majesté. Quand il écrit, il tousse dans son mouchoir. Son christianisme a beau être dense, il est trop propre. Il y manque la gelée tremblotante de la cervelle royaliste, le goût ferrugineux du sang des martyrs. À ses baisers, il manque la langue, la salive. C’est comme si on représentait Jésus sur la Croix en livrée avec, sur le col, une minuscule goutte de sang. Tout est absolument génial mais tout est infiniment raté. C’est l’auteur qu’il fallait à des types comme Fumaroli. En quelque sorte, il leur a donné du grain à moudre, un sujet d’analyse, de quoi nourrir la prétendue noblesse de leur caractère et gratter des bouquins vendus par paquets de dix aux vieilles barbes et autres bas-bleus du quartier Saint-Germain. Chateaubriand c’est une longue glissade de gosse dans le parc du château — et le gosse finira tôt ou tard emmêlé dans les ronces et les fleurs, avec la gouvernante qui gueule !
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