Demander pardon, pardonner, c’est ce qui nous différencie des animaux. C’est ce qui nous empêche de sombrer dans la violence. C’est aussi ce qui nous prémunit du régime despotique, dans lequel tout serait demandé à la loi, au législateur, en permanence, partout, tout le temps : un flic, une menace, une règle ; il n’y aurait plus dans un tel régime que dettes et sanctions ; quant au contrat social ce ne serait qu’un grand livre des comptes.
Le pardon n’a pas toujours existé. Il n’existait pas chez les Grecs. Achille, lorsque Priam vient lui demander le corps ravagé de son fils Hector, a honte, il s’en veut, mais il ne demande pas pardon ; Priam d’ailleurs n’est pas venu pour le pardonner mais pour s’incliner devant sa force. Le pardon existait en revanche chez les Juifs. Le pardon était le trésor des Juifs, mais il ne pouvait être donné que par Dieu. Il s’agissait d’un trésor vertical. Seul Dieu pouvait remettre les péchés.
Le pardon, ce miracle anthropologique, nous a été apporté par Jésus Christ. Ceci est un fait, n’en déplaise à ceux d’entre vous qui ont tellement détesté l’église qu’ils en sont venus à détester tout autant la figure d’un innocent mort sur la croix. Jésus donc, un Juif nazaréen, artisan, vers l’an zéro, dans la grande banlieue de l’Empire Romain, nous a donné le pardon. Il n’est pas mort pour nous l’avoir donné mais précisément pour nous le donner. C’est en mourant qu’il l’a donné, quand au bout de sa souffrance il a pardonné ses bourreaux. Jamais personne avant lui (même pas Socrate) ne l’avait fait. Jésus a horizontalisé le trésor des Juifs, et l’a universalisé en exhortant tous les êtres humains, circoncis ou non, à demander pardon à leurs frères comme ils demandent pardon à Dieu. Il a dicté le “Notre Père”.
Pourquoi est-ce que je m’attarde sur ce point ? Parce que je voudrais souligner que si nous avons vécu avant l’an zéro sans pardon, cela pourrait très bien nous arriver de nouveau. Il n’est pas invraisemblable d’imaginer qu’il y aura eu les deux mille ans du pardon, et puis basta, gloire à la force ! retour du sacrifice ! Adieu message du Christ, adieu ère chrétienne ! Égorgeons Iphigénie… Troie, nous re-voilà !
Le pardon est fragile aujourd’hui plus que jamais. La guerre est sans merci, la politique sans pardon. Trump en est l’exemple le plus caricatural. Je suis sûr qu’il n’a jamais demandé pardon à personne pour rien, et n’a jamais pardonné rien à personne. Il a tout enregistré. Il a tout compté. Et aujourd’hui, il est le roi du monde. Regardez les revendications des cancres de la République, écervelés bizarres, poules méchantes : ils veulent faire payer, punir, censurer, détruire, empêcher, ligoter. Ils demandent cela à la loi, demain ils le demanderont à un despote. Ils ne pardonneront jamais rien. Regardez les pancartes dans les manifestations. Si Polanski sortait dans la rue pour demander pardon, il se ferait tuer à coups de pied dans la gueule. On le dévorerait !
Et si le Christ revenait, et disait “aimez-vous les uns les autres”, que croyez-vous qu’il se passerait ?
On le crucifierait !