De nos jours la tendance “en matière d’éthique”, comme ils disent, est de réduire la question du Bien et du Mal à sa dimension morale, conceptuelle. La “matière d’éthique” autrement dit serait immatérielle. Le Bien et le Mal deviennent le bien et le mal, et, digestes, ils sont avalés par les règles, subordonnés aux régulateurs. La Loi est dans les lois. Les Pharisiens s’en chargent…
Mais la morale est inhumaine. Elle ne ressemble pas à l’homme, parce qu’elle n’a pas de corps. L’homme n’est pas fait à son image, parce qu’il ne l’a pas faite à son image. Comment poser la question du Bien et du Mal — question qui est le propre de l’homme, un socle indispensable à son humanité — en faisant l’économie du corps ? Le Bien et le Mal sont des événements physiques. Ils sont dans la peau. On les sent respirer, chauffer. Ce ne sont pas de purs concepts, mais des âmes pourvues de corps. Ce sont des corps équipés, ils mordent, ils aspirent. L’homme les pratique tous les jours, dans sa chair — qui oserait affirmer le contraire ? lequel d’entre vous oserait prétendre qu’il ne se pose la question du Bien et du Mal qu’en pensée ? ou d’abord dans ses pensées ?
En définitive, il me semble que le bien et le mal sont les ennemis du Bien — et l’arme efficace du Mal. Le bien c’est le Mal. La morale tout entière procède du Mal. Celui qui ne croit pas au Bien et au Mal, et qui voudrait promouvoir le bien, un bien conceptuel, “moralement acceptable”, est tout entier dévoré par le Mal — le corps, les dents du Mal… — à qui il a cédé le pas en refusant au Bien d’être incarné.
L’Amour n’est pas un concept. L’Amour est une folie, une folie par le corps. Le Bien est une folie, et une folie dans le corps, depuis le corps. Et cette folie est seule à pouvoir nous sauver.