Dans cette pièce dont l’intrigue repose sur des ficelles usées au point, se dit-on, qu’elles ne devraient plus rien se voir confier, surtout en 1942, qu’est-ce qui étonne ? L’absence d’éthique. Il n’y a plus la de destinées tragiques : Inès n’est pas Antigone. Ni de drame : Don Pedro n’est pas romantique. Non seulement personne n’incarne une éthique, mais surtout l’éthique n’existe pas, elle n’a pas lieu, elle est impossible. Et pourtant on n’est pas chez Ionesco. C’eût été trop facile, l’absence d’éthique, chez Ionesco… Ici on est bien à la cour. On est dans le Portugal immortel. On est en dehors du Temps, sur l’autel, où le sacrifice a lieu, où la destinée des hommes tout à coup est consubstantielle à celle des dieux: dans le feu des âges, à la lie des universaux.
L’Infante, c’est la tentative éthique… C’est l’autre monde, c’est l’Espagne, qui essaye d’avoir prise. Elle voudrait signifier quelque chose. C’est l’honneur, l’honneur bafoué, c’est la tentation du Salut. Mais rien ne marche. Elle ne change pas le cours des événements. Elle n’influe sur rien. Elle pourrait être absente. Elle est absente d’ailleurs. Elle est morte. La reine morte.
Le roi Ferrante règne sur un monde où aucune victoire n’est véritable, puisque les valeurs ne sont coextensives à rien : l’évaluation est un mensonge, les principes interchangeables. On peut tuer n’importe qui car n’importe qui est coupable, et parce que dans un tel monde on a besoin d’un coupable à tuer. Il faut tuer… Là est l’horreur : le sang est à la fois gratuit et nécessaire. Écrire une telle pièce en 1942, et la faire jouer au Théâtre-Français, était sans doute autrement plus subversif que de distribuer des tracts bourrés de fautes d’orthographe dans des rades après la tombée de la nuit.