« Comment ! s’était exclamée une de mes voisines, vous n’avez pas vu le Cyrano de Pierre Dux ! » Honteux, j’avais décidé de me rendre le soir même au théâtre. Seulement quand j’arrivai, une rumeur montait : Pierre Dux était malade… On se demandait si Cyrano laisserait jouer Montfleury.
Un ouvreur annonça que Pierre Dux ne viendrait pas. Une protestation envahit le théâtre. « Et l’argent qu’il va falloir rendre ! »
La rumeur devint une fièvre. Raymond Rouleau annonça sous les huées que Pierre Dux serait remplacé par Bernard Noël. Je me pris de sympathie pour ce comédien qui portait sur les épaules la déception de Paris, non pas parce qu’il était mauvais mais parce qu’il n’était pas Pierre Dux. Bernard Noël mentirait à Roxane pendant que Christian usurperait son identité, ou bien Bernard Noël avouerait-il la vérité à Roxane en usurpant l’identité de Pierre Dux ?
Bernard Noël se surpassa ! Christian sur le carreau, mort, Roxane invincible, trompeuse et trompée comme l’amour seul sait être invincible, trompeur et trompé. La scène du balcon me tira des larmes décisives. Je vis Christian être Cyrano, et Cyrano être Christian, Cyrano qui aurait dû être Pierre Dux mais qui était Bernard Noël, et Bernard Noël devenir, peu à peu, Coquelin jouant Cyrano, Cyrano jouant Christian.
« Pendant que je restais en bas, dans l’ombre noire,
D’autres montaient cueillir le baiser de la gloire !
C’est justice, et j’approuve au seuil de mon tombeau :
Rostand a du génie et Pierre Dux était beau ! »