Il faut imaginer Paul Valéry dans la rue près de la vitre d’un café, discret, en plein hiver, le nez dans une écharpe, à Paris, non loin du Luxembourg, jeune, timide, immense poète déjà mais peu connu car les immenses poètes sont mieux loués quand ils sont morts. Il observe Verlaine attablé toujours dans le même café, à la même table, tous les jours et le soir, la nuit, dans la même position, sur la même chaise, en train de fumer devant une coupe aux reflets verts et dorés, comme un joyau liquide, un poison vénitien, barbu, son grand front rocailleux, les amandes des yeux, Protée de France, céleste clochard, étoile du langage, précis et beau comme ce qui est précis. Verlaine est devant une feuille froissée sur laquelle rien n’est écrit. Il n’écrit pas, la feuille c’est pour prévenir Dieu, il boit, il a écrit. Jamais Paul Valéry n’osa entrer, il n’osa pas adresser la parole à Verlaine, préférant rester dehors, immobile, en proie à ce qu’il nommera lui-même une “horreur sacrée”.
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