Marien Defalvard est le meilleur d’entre nous. C’est le plus grand poète vivant, je n’exagère pas. Et ce qu’il y a de scandaleux, c’est que cela ne fasse aucun doute. C’est évident, l’évidence même, comme la littérature en est capable à ses sommets. L’évidence est toujours scandaleuse, n’est-ce pas ? Et elle est toujours littéraire.
Les mangedieux reprochant à Defalvard le manque de scénario ou de dialogue n’ont qu’à se rendre au cinéma voir les conneries de Spielberg.
L’œuvre immense de cet auteur (dont les 359 pages en poche pèsent plus lourd que nos deux Prix Nobel récents et les vingt dernières années de la NRF) est une déflagration d’images sensibles ; les villes, les paysages prennent forme ; ils ont une physionomie qu’on leur savait mais qu’on ne leur connaissait pas (le fameux « je ne sais quoi » ou « quelque chose » des auteurs moyens et minables), des odeurs et du sang : une carapace concrète, acquiescée dans l’instant ; on lit avec tout son corps et c’est comme si l’ont tenait un miroir à bout de bras ; les mains trouvent des prises, la pensée des appuis solides. Et si l’on découvre la charpente en montant dans le clocher, on en avait senti le dessin et la puissance dès le seuil de la cathédrale, la hauteur et l’équilibre, l’harmonie achevée de tout: à Coucy-le-Château-Auffrique, “dans l’Aisne, aux derniers renseignements, en Picardie”.
C’est un nouveau langage, de nouveaux mots, un millefeuille plus riche en inventions que n’importe quelle encyclopédie ou récit de science-fiction. C’est une symphonie héroïque, qui sera encore moderne dans mille ans, mais amicale, une grande putain qui a de la place dans ses jupes. S’il y a si peu de dialogue et d’action c’est qu’il y en a peu, point, et quoi ? Il n’y a rien à regretter où tout est neuf, où tout a été défait, refait, transfiguré.
Rien n’est bourgeois ou traditionnel chez Defalvard, ne vous y trompez pas. Rien n’est emprunté, précieux, pédant ou repris. C’est nouveau à chaque ligne, et c’est toujours renouvelé, transporté par un mouvement d’une sincérité baroque mais sans chichi et intégrale, et par une langue qui ne s’écoute jamais et s’étonne pourtant de ce qu’elle entend, de ce qu’elle reçoit, de ce qu’elle sert.
Son nom est inoubliable ; il s’ouvre (ma) puis se déclenche (-ri-en) et fluctue (-de-fal) pour claquer chaudement sur le final comme des chaussures de danseur sur un parquet tiède de fin de soirée (vard !) ; la cohérence est parfaite, l’œuvre ressemble au nom de son auteur.
L’universel ici où tout est universel vient d’une espèce d’outil psychologique que le narrateur déploie à travers lui seul pour toucher l’âme de tout le monde (à quel prix ? a-t-il souffert ? est-il chrétien ?).
Comme chez Proust, vous dites ? Oui et non. Proust attend et l’on attend avec lui un temps qui ne vient pas mais finit par arriver, tandis que Defalvard court et n’attend rien, on le suit partout, et partout où l’on se trouve il est déjà passé ; ce n’est pas le temps perdu que l’on recherche, mais le temps lui-même qui se souvient d’un narrateur qu’il a perdu.
La cinétique est aérienne, composée, nerveuse et affilée comme une dent grecque, la musique oubliée des Cyclades, le Verbe haut des Slaves et la folie primordiale des Celtes. Il y a du Breton mais il y a du Méditerranéen dans Defalvard, et il n’y a rien de cela, puisque je vous l’ai dit, tout est neuf, il n’y a que Defalvard dans Defalvard.
Il nous faudra tout consommer avant de renvoyer tout Defalvard, comme nous l’avons fait pour Rimbaud il y a mille ans, pour Baudelaire, Verlaine, Suarès ou Claudel, René Char ; non, je n’exagère pas : il est au moins à la hauteur de ceux-là ; il les tutoie pendant que nous prisons leurs restes et qu’une horde de connards les imitent ou les commentent plus ou moins mal mais toujours mal — si mal.