Chemin Henri Lacordaire

A la sortie de la station de métro “Faculté de Pharmacie”, un chemin longe le couvent des Dominicains qu’il faut prendre pour gagner la route de Narbonne, et l’IUT Ponsan où je donne cours le vendredi : impasse Henri Lacordaire. (Je n’ai jamais rien lu d’Henri Lacordaire, parce qu’à vrai dire je me méfie des catholiques romantiques, il y a en général trop de fétiches dans leurs prières et de morale dans leurs élans. Il faudra quand même que j’y aille voir, mais je crois que je n’apprécie aucun catholique romantique. Même Chateaubriand est pédagogue. Et de toute façon, Claudel les a terrassés… )

Sur ce chemin, de grands arbres existent approximativement et les bâtiments sont laids (laideur des années soixante : libéralisme social, illusion de la liberté).
Là-haut, l’hôpital Rangueil a une silhouette de château fort.

De ce chemin j’aime les laideurs et l’absence d’identité. Ce pourrait être n’importe où en Occident : une cicatrice où il n’y a pas eu de plaie.

Le couvent est affreux, pourtant une lumière s’en dégage. Partout où ils sont les Dominicains imprègnent cette lumière thomiste dont les simples peuvent hélas se sentir exclus. Ce sont des croyants par la tête, leurs lamentations ont des cheveux et des lunettes.

C’est ici, quand proliférait une campagne sans doute fleurie et verte, vert foncé, et que le couvent était “perdu” et n’avait pas dix ans (août 1964), que le jeune Vincent La Soudière est venu rater Jacques Maritain. Le philosophe était parti jusqu’en novembre. La Soudière a rencontré à sa place un domino dépressif avec qui il a parlé de médicaments. Les dépressifs ensemble parlent de médicaments. C’est ce qui les unie : l’hostie des psychotropes.

Vincent La Soudière sur Toulouse (Lettre à Didier, 11 août 1964) : “…Il fait un temps espagnol. Chose curieuse, Toulouse me rappelle Madrid : même chaleur, même animation, même genre. (…) couvent perdu au bord de la nature… (…) chaque brique, même laide, me rappelle Maritain.”

J’ai eu des émotions sur ce chemin Henri Lacordaire. Mettons que j’y ai brûlé quelque chose. Oh, pas grand-chose, mais quelque chose, sous les fenêtres japonaises des cambuses dominicaines, un pli en moi, la friction de deux traits. J’essayais de penser à La Soudière, à Maritain et de me souvenir de mes lectures sporadiques, bizarres et forcées de Saint-Thomas d’Aquin. Je me suis toujours dit qu’un jour, je lirai sérieusement La Somme. Mais j’ai peur de ne plus rien être capable de lire ensuite, alors je remets ces jours à plus tard, pour les nuits de sang et les heures d’hôpital, que je passerai peut-être dans le château fort de Rangueil, lorsque je n’aurai plus assez de dents pour manger mes larmes.

Les grilles du chemin Henri Lacordaire son mal entretenues, trouées ici et là, les arbres sont latins, pins, cèdres et autres résineux romains. Les symboles se perdent. Il y a des graffitis sur les murs coupés : la même maladie du langage qu’ailleurs en Occident.

A l’IUT Ponsan, de l’autre côté de la route de Narbonne, on raconte que les maoïstes à l’accent toulousain ont organisé une veillée internationale à la mort du timonier. Je les imagine avec des larmes silencieuses et des ventres de crocodiles, les mains jointes, mafieux, bêtes et ridicules jusque dans leur haine de la bêtise et leur peur du ridicule.

Le feu rouge, devant l’IUT, est décisif. S’il ne fonctionne pas, Toulouse est embouteillée.

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Guillaume Sire
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3 Responses to Chemin Henri Lacordaire

  1. Frog says:

    Eh bien, chacun en prend pour son grade. Est-ce la laideur du chemin qui l’exige ?

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  2. Guillaume Sire says:

    C’est en effet un chemin très laid, pourtant il y a quelque chose, un mouvement de retrait et comme une aspiration. C’est une impasse pour passer.

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    • Frog says:

      Je reconnais cette aspiration que vous décrivez bien. Me disais seulement que le chemin parait étroit entre croire par la tête et en s’encombrant de fétiches.

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