On mesure mal ce qu’a été l’esprit des deux premiers siècles du deuxième millénaire en Europe, et ce qu’on a perdu en lui tournant le dos. Tout cela est si loin désormais. Ce ne sont certes pas les conneries cinématographiques qui nous aideront à mieux comprendre ce qui s’est joué ; quant à Jacques Le Goff… Qui lit encore Jacques Le Goff ? Pourtant, la trace demeure dans les villages (combien d’églises et d’abbayes romanes en Europe ?) d’un temps qui ne devait pas être si atroce que les manuels le suggèrent puisqu’y ont proliféré ces bijoux dédiés à un dieu né dans une crèche et mort par amour.
L’esprit roman vint par le bas, déclenché et synchronisé à Cluny, certes, la “Maior Ecclesia”, mais accepté tout de suite, parce qu’il avait le visage du peuple. Bernard, Guillaume de Volpiano, Saint Hugues ont catalysé une force venue par la masse, et immédiatement rendue à la masse.
Ce n’était pas de la communication, mais une communion spontanée autour du Beau et du Simple conçus comme véhicules de la Justice et de la Vérité.
Où sont nos véhicules ? Qui chez nous croit encore en la Beauté ? De quel genre de fin du monde, ou de transhumance post-historique, nos foires internationales d’art contemporain sont-elles les symptômes (ou les causes ?) ?
L’art gothique était intellectuel, citadin, orgueilleux, viendrait bientôt la manie des signatures, l’artiste portée aux nues, transformé lui-même et par lui-même en Tour de Babel. Le gothique, c’est déjà la politique. Je ne sais plus où j’ai écrit cela : la lumière, la hauteur, la clarté gothiques préfigurent une société hémophile. C’est déjà les profils de Chambord et Chenonceau, la Renaissance — saloperie de Renaissance — l’individualisme, le scientisme et la communication surtout, déjà presque Rousseau, et après lui, inévitablement : Sarkozy, Hollande, Macron, Onfray, BHL, etc.
L’Union européenne a besoin d’un souffle par le bas. Cela passera par l’architecture. Il nous faut une architecture commune. La construction européenne doit être faite de constructions européennes. Oui, il faut un sursaut roman. Autrement dit une conception commune de la Beauté, et que celle-si soit suffisamment humble pour être désirée par les plus humbles, et que naissent ensuite à partir et au travers d’elle des conceptions communes de la Justice et de la Vérité.
Nous avons besoin de Jean Scot Érigène (qui a expliqué pourquoi l’union était nécessaire et naturelle entre la foi et la raison) et Pierre le Vénérable (qui fit traduire le Coran en latin et souhaitait que les débats théologiques remplacent les croisades… oh comme nous en avons besoin !).
Nous avons besoin des moulins romans et des chapelles romanes — l’hésitation des flammes dans les chapelles romanes — et non pas des start-ups néo-numériques et ultra-bizarroïdes, post-gothiques et trans-humanistes.
Que l’Europe revête son blanc manteau d’églises, et qu’un Raoul Glaber écrive au sujet du siècle précédent : « On croyait que l’ordre des saisons et les lois des éléments qui jusqu’alors avaient gouverné le monde étaient retombés dans un éternel chaos, et l’on craignait la fin du genre humain ».