Garonnette

Les structures sont en retrait, les portes retirées. L’eau partout est à l’état de signe, à certains souvenir, aux autres avertissement. Sous la terrasse de Julia et les fenêtres de France et de la famille Pech de Laclause, il y a ce club portugais désert la semaine, et comme abandonné, mais plein à craquer les dimanches. Les maçons s’y retrouvent gravement autour d’un Bonzini, et tandis que leurs femmes gavent leurs très nombreux enfants de flans aux oeufs dorés à la bougie et de tartes aux prunes, ils fument des cigarettes de contrebande et s’échangent les journaux du pays qu’ils regardent tour à tour sans les lire vraiment. Un homme, une montagne, assis sur un minuscule tabouret qu’on dirait soudé à son derrière, fait griller des merguez sous le ponceau de la rue de Tounis, dans un bidon d’essence ouvert par le milieu et garni de braises magiques. Les trafiquants d’héroïne, dont c’est la planque du lundi au samedi, sont remontés vers l’île du Ramier ou descendus vers les Amidonniers. La maison de l’Occitanie (autrefois annexe du collège Clémence Isaure), le cou de canne de la Halle aux poissons, le barrage infernal, la Tantina des Burgos où mon père fêta son quarantième anniversaire en décembre 1991, le rappel grotesque du cours d’eau, la crèche municipale, le jardin des Dominicains derrière ses hauts remparts, le HLM de la rue de l’Homme armé où j’avais un ami, Fabien, et l’usine Voltex couverte de lierre rouge et vert à côté du grand cerisier de mes voisins, que le manque de lumière a fait grimper plus haut que le toit biseauté de l’usine, m’ont injecté leur énergie pendant vingt ans. Puis il y a eu ces nouvelles constructions “de plain-pied, beaux volumes”, la chierie du futur. On a oublié qu’ici l’eau avait creusé, et qu’on pêchait depuis la fenêtre de chez soi, la cuisine ou l’alvéole des cabinets, directement dans le fleuve, des truites arc-en-ciel descendues du glacier d’Aneto. Madame Massoutié ma voisine, une ancienne couturière aux pieds gonflés, est morte, et le parking de l’Hôtel de Clary (“l’hôtel de Pierre”) maintenant est fermé à clef.

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Guillaume Sire
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