Rue Idrac

Une vingtaine de personnes se retrouvent le vendredi matin devant le local de l’association Valentin Haüy pour une randonnée en tandem sur les bords du Canal. Les aveugles avec leurs cannes blanches à l’arrière du vélo, leurs sourires tragiques. Près du boulevard Carnot : La Cour des Miracles — haut lieu du tatouage, devant lequel fument les zozos habituels, écarteurs d’oreilles, barbes rousses et brunes, muscles, crânes rasés, sans mystère qui n’eût été convenu (marionnettes du libéralisme, une autre forme de journalisme). Ils bidouillent avec leurs briquets. Une porte de grange derrière laquelle on s’attendrait à une série de potagers. Mais non, c’est un parking. Un gigantesque parking. Il y a un loft aussi abritant une cuisine où des célibataires viennent apprendre à manier le fouet alsacien et les secrets des brioches. Il paraît que ce genre de cours est très à la mode : l’endroit idéal pour faire des rencontres. Au bout de la rue Idrac, un bistro : Le Petit London. Bière séchée, faux pêcheurs, hameçons dans le sac, vase sous les ongles. On boit. Une fille voudrait travailler pour le cinéma. “Les décors”, dit-elle, mais elle a trop bu, il lui manque une dent. Ma cousine Charlotte, la fille de Catherine, est parmi les habitués, ainsi que mon voisin Nicolas. Deux garçons devant l’entrée parlent de Rousseau, les écrits tardifs, dans des termes assez justes. Devant ce bistro, un immeuble gris art-déco abrite, si j’ai bien compris, une classe de boxe, juxtaposé à un immeuble orange, style italien, naïf — j’en ai vu des semblables dans la banlieue de Bergame — dont une glycine soulève les tuiles par-dessus un atelier d’artistes. Les artistes en question, m’a dit Madame Beigbeder, la voisine du rez-de-chaussée à droite, clouent des peluches à des planches de polystyrène. La fausse rébellion est partout la même à Toulouse et partout elle remplit son rôle d’anxiolytique. La faute à Franco, on dit. Beaucoup de crottes de pigeon dans la rue Idrac. C’est bucolique mais c’est moderne. Pour les fleurs et la peinture à l’eau, les trucs du genre, on repassera. On dirait une cour d’école privée de maître. Ou plutôt une cour d’école envahie par des maîtres devenus dépressifs et idiots à cause d’une drogue bon marché. En somme, c’est la Troisième République dans la Cinquième, trente ans après l’assaut des punks à chiens, aujourd’hui mangeurs de houille équipés de smartphones. Des lumières descendent, rien ne les arrête. Les fenêtres n’ont pas de lèvre inférieure et les volets s’ouvrent et se ferment à l’intérieur des appartements.

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Guillaume Sire
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