C’est un truisme, Vercingétorix s’est agenouillé devant César pendant que Jeanne d’Arc brûlait, ou que sais-je encore, Saint-Thomas d’Aquin vivait avec Aristote dans un temps qui n’était pas celui de Ceausescu et Néron, lequel n’était pas celui de Shakespeare, Aristophane et Eschyle, qui n’était pas celui de Platon et Simone Weil. Le temps est chiffonné, il y a des noeuds et des ventres, des points de pression et d’autres moins immédiats, des plages carrément, et des interstices moraux, möbius… qui ne le sait pas ? La linéarité est une impression romantique. Dire “le temps avance” c’est comme dire “la terre est plate”. Les sens nous mentent, et la vérité est tragique, tragique.
Ce qu’on sait moins, c’est que l’espace, lui aussi, est plié, replié, lui aussi, chiffonné, et que le temps est plié dans l’espace et l’espace replié dans le temps. Ce n’est pas une feuille de papier en boule, mais deux feuilles de papier froissées ensemble de telle sorte que l’Occitanie romane est au même endroit exactement que l’Acropole socratique sans être tout à fait en même temps. Proust était géographe autant qu’historien : Le Temps Retrouvé aurait pu s’appeler La Carte Dépliée.
Les physiciens ont passé le siècle dernier à réaliser que le temps était plié. Ils passeront celui-ci à réaliser que l’espace l’est tout autant. Enfin ils comprendront peut-être que le temps et l’espace convergent à des vitesses différentes (la vitesse étant le seul problème que personne n’a encore vraiment résolu… il faudrait écrire des millions de fois Heidegger pour comprendre la vitesse). Ils convergent vers un point marqué d’une Croix.