Sur l’île des Sœurs, le printemps chargeait l’air de fines pulsations. Des élévations roses montaient depuis les rues. Les plages ouvraient leurs paupières de galets, éveillées par des vaguelettes très froides. Des poches d’algues fermentaient au pied de la digue qui autrefois avait retenu une baleine dont les fanons, pourris au soleil, ressemblaient à des branches de palmiers. Les brumes empêchaient de distinguer où était la limite du Saint Laurent, et les limites en général. Le ciel, l’eau, les glissières des routes dans la poudre miroitaient. La lèvre granuleuse de l’horizon tergiversait à la poupe (qui embrasser, du soleil ou de l’ombre infinie ?) et ce faisant affectait jusqu’aux arbres dont le roulis ne permettait pas de dire si le vent soufflait ou si la terre avait tremblé. Un homme poussait un chariot vers un camion dont les phares tiraient un trait entre la devanture d’un magasin de journaux et la truffe à hublots d’une maison. Sur le fleuve, dans la lessive poussiéreuse, des marins récoltaient les troncs et les carcasses métalliques, les déchets, les pneus et des choses en plastique, à l’aide d’une usine flottante, orange, surmontée de grues et de conduits par lesquels s’engouffraient des mamelons de fer. Les mouettes piochaient dans les godets les poissons attrapés, en tâchant d’éviter d’être prises à leur tour, auquel cas les déchets se couvraient instantanément de duvet hirsute et de taches de sang. Les pêcheurs, retenus à terre, observaient la dragueuse depuis le quai du Cours-du-Fleuve, fumant, énervés moins par le spectacle que par l’inactivité qu’on leur avait imposée. L’un d’eux leva les yeux vers le bourrelet ferrugineux du Pont Champlain qui petit à petit prenait pied dans la brume.
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