poésie et philosophie — Mari Zambrano, 1939

“L’amour comporte fondamentalement une distance. L’amour sans distance ne serait pas l’amour, parce qu’il n’aurait pas d’unité, c’est-à-dire d’objet. C’est sa différence fondamentale avec le désir : dans le désir, il n’y a pas proprement d’objet, car ce à quoi on aspire ne réside pas en soi-même, on ne lui permet pas cette entrée en soi-même que réalisait déjà la poésie pour son propre compte avant et après Platon, quand elle échappa à son influence. Le désir consume ce qu’il touche ; dans la possession disparaît l’objet du désir qui n’a aucune indépendance, qui n’existe pas hors l’acte de désirer. Dans l’amour subsiste toujours l’objet, il a son unité inaccessible. La possession amoureuse est un problème métaphysique et, en tant que tel, insoluble. Il faut franchir la mort pour la réaliser ; traverser la vie, la multiplicité du temps.

L’amour, à l’instar de la connaissance, a besoin de la mort pour se réaliser. L’amour par qui se propage la vie… Tel est, selon nous, le fondement de toute métaphysique : l’amour qui naît dans la chair (tout amour “premier” est charnel), doit pour se réaliser, se détacher de la vie, doit aussi se convertir comme, selon Platon, devait le faire la connaissance.

En vérité cette conversion s’est réalisée par la poésie, dans la poésie. Dans la poésie qui, mieux que la philosophie, a su interpréter sa propre condamnation, car il lui était réservé de se nourrir de sa propre condamnation.”

About Guillaume Sire

Guillaume Sire
This entry was posted in Les autres. Bookmark the permalink.

Leave a Reply

Fill in your details below or click an icon to log in:

WordPress.com Logo

You are commenting using your WordPress.com account. Log Out /  Change )

Twitter picture

You are commenting using your Twitter account. Log Out /  Change )

Facebook photo

You are commenting using your Facebook account. Log Out /  Change )

Connecting to %s