A l’université, j’ai dirigé des centaines de mémoires. Et à chaque fois qu’un étudiant n’arrivait pas à franchir une étape, c’était toujours pour la même raison : il s’était planté sur la précédente. Un étudiant n’arrive pas à récolter ses données ? C’est parce qu’il a mal formulé ses hypothèses. Il n’arrive pas à formuler ses hypothèses ? C’est parce qu’il a mal formulé la problématique. Il n’arrive pas à formuler sa problématique ? Alors il doit revoir son état de l’art.
Je pense souvent à cela en écoutant les écologistes. Nous ne sauverons pas la planète en essayant de sauver les arbres, en diminuant nos émissions de dioxyde de carbone ou en recyclant le verre ou le carton. Enfin si, nous la sauverons peut-être, mais nous n’arriverons pas à convaincre les êtres humains de le faire, personne n’y arrivera, et, donc, nous ne la sauverons pas. Il faut revoir le coup d’avant : qu’est-ce qui a foiré ? Qu’est-ce que l’être a perdu d’humain ? Pourquoi Nicolas Hulot n’a-t-il rien à voir avec Saint François d’Assise ? Il y a eu un divorce entre l’art et la politique, puis entre la philosophie et l’art, et finalement entre la philosophie et la politique. Ce divorce fut orchestré conjointement, et de main de maître, par le droit, la finance, la chimie et l’industrie du divertissement. À la morale fut confié le rôle d’arbitre, et le monde devint sans issue. L’être humain ne l’était plus, ou plus assez, pour préserver la nature, dès lors qu’au lieu de trouver sa place dans le cosmos, c’est-à-dire dans « l’ordre des choses », il déclara : « il n’y a plus de cosmos ! il n’y a pas d’ordre des choses ! » La méditation des Grecs, des Upanishads, des Chrétiens, censée aider l’étant à s’accorder à l’être — l’immanent humain à s’accorder au transcendant universel — devint une pratique dont le seul but était d’aider ceux qui la pratiquaient à s’accorder à leurs propres désirs. Privée de théoria, l’éthica se dérégla.
Nous avons raté le coup d’avant. C’est celui-là qu’il faut négocier, renégocier. Il faut rejouer cette partie-là : la querelle des universaux, puis Descartes, Rousseau, puis les synthèses apriori de Kant, puis Nietzche… C’est là que ça a foiré. « Nous n’allons tout de même pas revenir au Moyen-Âge » dit-on, eh bien il le faudrait pourtant, et d’une manière ou d’une autre il faudra y revenir, à l’âge médian, celui qui a vu le jour avec Saint Augustin et qui brillait encore dans l’âme de Shakespeare. C’est la seule condition pour sauver, comme ils disent, la Terre, la Vie, l’Homme. Et je dis bien « sauver », car il ne faut pas les préserver. C’est ce que les écologistes ne comprennent pas : le jeu auquel ils prétendent jouer n’est pas une téléologie. C’est une sotériologie. Leur argumentation et leur action devraient moins s’appuyer sur les causes finales que sur les buts premiers. Il faut retrouver l’Homme. Il nous faut redevenir humains. Renouer la race. Puis la Terre sera sauvée. C’est promis. Le Ciel aussi d’ailleurs. Même Nicolas Hulot sera sauvé !