La Cigale, ayant chanté
Tout l’Été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue.
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine
Chez la Fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister
Jusqu’à la saison nouvelle.
Je vous paierai, lui dit-elle,
Avant l’Oût, foi d’animal,
Intérêt et principal.
La Fourmi n’est pas prêteuse ;
C’est là son moindre défaut.
« Que faisiez-vous au temps chaud ?
Dit-elle à cette emprunteuse.
— Nuit et jour à tout venant
Je chantais, ne vous déplaise.
— Vous chantiez ? j’en suis fort aise.
Eh bien !dansez maintenant. »
On comprend mal cette fable. La Fontaine l’a écrite dans un monde catholique. Chez les catholiques (comme chez les Grecs du reste) refuser l’hospitalité et l’aumône est un péché de la pire espèce.
La Fourmi est l’incarnation bestiale de ceux qui ne jurent aujourd’hui que par les politiques d’austérité, et disent à ceux du Sud, quand ils voient nos façades colorées, notre humour, nos jupes, nos bistros, notre appétit sexuel, nos plages scintillantes, notre vin plein d’étoiles et notre joie de vivre : “vous nous le paierez”.
La Fourmi c’est le peureux de la parabole des talents, le Lévite de la parabole du bon Samaritain, et le riche refusant au mendiant Lazare jusqu’aux miettes tombées de sa table.
La Fourmi crèvera toute seule avec son envie, et nous la pardonnerons. En vérité, nous l’avons déjà pardonnée. Nous prierons pour elle dans l’hiver et la nuit, et nous chanterons, et nous danserons comme elle l’a suggéré, et nous mourrons, c’est vrai — mais, poètes, nous mourrons d’avoir été en vie.