Dialogue impossible

LE BÂILLEMENT, à l’éternuement et à la toux : Qui êtes vous ? Que faites-vous là ?
LA TOUX, au bâillement et à l’éternuement : Qui êtes-vous ? Je ne vous ai jamais vus.
L’ÉTERNUEMENT : Je vous hais !
LA TOUX : Homme, parle !
L’HOMME : Vous ne vous connaissez pas, car d’habitude l’un chasse l’autre. Personne ne tousse et ne bâille à la fois, personne n’éternue quand il bâille, personne n’a toussé quand il éternuait.
L’HOMME : Je vous ai convoqués…
LE BÂILLEMENT : Il nous a convoqués…
L’ÉTERNUEMENT : C’est ça !
L’HOMME : …parce que j’ai la même chose à vous dire, et je déteste me répéter…
L’ÉTERNUEMENT lui chatouille le nez : Ne me parle pas sur ce ton…
LA TOUX, lui chatouille la gorge : Viens…
LE BÂILLEMENT : Vous disiez ?
L’HOMME : Je vous ordonne à tous les trois de ne plus me couper la parole. Je n’en peux plus, dans mes phrases, de vous sentir : accrochés… Je n’ai pas besoin de vous pour ponctuer.
LE BÂILLEMENT : Mais…
LA TOUX : Oh !
L’ÉTERNUEMENT : Hé !
L’HOMME : Gardez vos glaires, vos postillons, votre haleine. Dérangez d’autres gens. La femme par exemple : Sabine…
LA TOUX : Mais elle est dérangée, quand nous te dérangeons. Au théâtre, avant-hier, trois cents personnes…
LE BÂILLEMENT : Je circule.
L’ÉTERNUEMENT : Moi je transmets !
L’HOMME : Je ne peux plus penser. Je ne peux plus parler.
LE BÂILLEMENT : Tu es trop fatigué.
L’ÉTERNUEMENT : Tu as froid.
LA TOUX : Tu fumes. Je t’aide à respirer.
L’HOMME : Laissez-moi vivre en paix.
LA TOUX : Nous sommes la vie. La vie n’est pas la paix.
L’ÉTERNUEMENT : Nous sommes la morale. La morale, c’est la guerre.
L’HOMME : Pharisiens !
LE BÂILLEMENT : Je m’en fous. J’ai faim.
L’HOMME : Votre prix sera le mien.
LE BÂILLEMENT : Je ne veux rien. J’appelle le rien.
LA TOUX : Moi veux tout.
L’ÉTERNUEMENT : Je veux la mort : l’éternité, le dénuement.
L’HOMME : Très drôle !
LE BÂILLEMENT : D’ailleurs, pourquoi le rire n’est pas là ?
L’HOMME : Il ne coupe pas la parole. Il la prolonge.
L’ÉTERNUEMENT : Il la remplace.
LA TOUX : Cet arrogant !
LE BÂILLEMENT : Ce propre à rien !
L’HOMME : Par pitié…

L’HOMME éternue, et L’ÉTERNUEMENT disparaît.
L’HOMME tousse, et LA TOUX disparaît.
L’HOMME bâille, et LE BÂILLEMENT disparaît.

L’HOMME rit.

Rideau

 

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Guillaume Sire
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