Déterminisme

Seule l’Education nationale pouvait permettre à des filles comme Johanna de côtoyer des garçons comme Antoine. Après le bac, ce serait fini. Ils ne feraient pas leurs études au même endroit, ne fréquenteraient ni les mêmes boîtes de nuit, ni les mêmes plages, ni les mêmes jardins publics. Ainsi, il n’y avait que sur les bancs de l’école où ils avaient une chance de s’aimer. Et encore, c’était parce que Johanna ne vivait pas à Paris, une ville assez grande pour être divisée en zones riches, presque pauvres et pauvres. Et c’était parce que les férues d’équitation et de théâtre — celles avec qui Antoine avait effectué sa profession de foi, les filles des amis de ses parents — n’acceptaient pas d’aller plus loin que le bisou avec la langue, à la rigueur la branlette. Mais un jour les filles comme Johanna auraient perdu l’avantage décisif qu’elles avaient d’écarter les jambes facilement et de s’abandonner pour presque rien ou rien. Quand les garçons comme Antoine ne s’intéresseraient plus à elle, sous prétexte qu’ils n’auraient objectivement plus aucune raison de s’y intéresser, et quand elle ne les croiserait plus sinon dans certains magasins où elle serait vendeuse, la vie de Johanna serait devenue une succession de fêlures en-dessous d’un miroir mal éclairé : l’interrupteur de la télévision, une Toyota à crédit — miracles houellebecquiens. Elle finirait comme tout le monde engrossée par un type laid, paresseux et violent.

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