… il n’est plus que la mort

Mère Marie : “… il n’est plus que la mort qui compte lorsque la vie est dévaluée jusqu’au ridicule (…)”.
Le Commissaire : : “(…) Mais il faut bien que je hurle avec les loups !”

Georges Bernanos — Dialogues des Carmélites (1949)

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Guillaume Sire
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1 Response to … il n’est plus que la mort

  1. pasdepseudo says:

    Mère Marie : “Et pourquoi donc ?”.
    Le Commissaire : “Parce que la solitude morale est le plus grand malheur au monde, et qu’aucune prière ne peut la racheter.”
    Mère Marie : “C’est étrange que devant la persécution, et dans la solitude, nous ne puissions plus être autre chose que jansénistes.”
    Le Commissaire : “Ou convulsionnaire hystérique.”
    Mère Marie : “Le langage lui-même a été dévalué, entièrement – dévalué par le désir. Autrefois, le langage était accroché au Dogme comme l’ombre au soleil : c’était le langage de la piété. A présent, le langage est accroché au désir. Le Dogme est devenu inutile et ballant. Et on voit à travers les hommes en transparence, comme à travers la glace on verrait l’immoralité, et l’absence de logique.”
    Le Commissaire : “Mon métier, c’est d’incarner le désir des autres. C’est même ma profession. Moi aussi, je suis entré dans un ordre, à ma manière : ce n’est pas un contrat. Je suis ordonné, moi aussi.”
    Mère Marie : “Pourquoi y a-t-il du désir – et des va et vient des époques devant la Vérité ?”
    Le Commissaire : “Parce que nous avons une chair.”
    Mère Marie : “Hélas. Votre langage est un langage répété, sur lequel vous n’avez aucune prise, auquel vous n’adhérez pas, qui ne vous exprime pas. Votre langage est une monnaie flottante, une monnaie d’échange qui perdra très vite toute sa valeur, qui vite ne vaudra plus rien, qui changera chaque année. Alors que le langage pourrait être ce que Ponge a appelé La rage de l’expression… « Comme dans l’orange il y a dans l’éponge une certaine ténacité à reprendre forme après avoir subi l’épreuve de l’expression »… Et personne n’a jamais réfléchi à cela, à ce caractère de répétition, de non-concordance des êtres et des discours, à cette nullité au fond du langage comme il est usé par les hommes : exactement usé comme le désir, valeur d’un temps.”
    Le Commissaire : “Et l’Amour alors ?”
    Mère Marie : “Et ta sœur ?”
    Le Commissaire : “…”
    Mère Marie : “Dans les sociétés modernes : le langage a la même valeur que le désir. Dans les sociétés religieuses, sociétés de Dogme, alors le langage reprend forme, parce que les êtres sont incités à vivre dans le Dogme, à y exister. Alors il n’y a pas de séparation entre l’ordre extra-temporel et le langage ; la monnaie du langage gagne une autre valeur que celle de l’échange et de son indexation totale, absolue sur le désirable de l’heure (entièrement machiné, entièrement organisé pour y correspondre, avec ce désirable-là). Le langage rejoint le Dogme. Et l’humanité, dans cette religion, n’apparaît plus ni illogique ni immorale : cela est caché par le langage du dogme. Quand la religion se dé-cadenasse, on ne voit plus que cela : absence de logique et immoralité. Et alors le langage ne les recouvre absolument pas, mais au contraire les reflète, y nage.”
    Le Commissaire “Et ?…”
    Mère Marie : “Je suis fatiguée, laissez-moi prier. Le langage de la prière rejoindra celui du Dogme.”
    (Addenda aux Dialogues des Carmélites, auteur inconnu, 2017)

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