Le scandale des couleurs secondaires

Les couleurs primaires disent ce qu’elles veulent. Elles parlent, elles annoncent. La mer est bleue. Le bleu c’est la mer. Il la résume, il la porte. Le ciel est bleu. Le bleu porte le ciel et la mer ensemble. Il leur ressemble, il les assemble. Planète bleue, baleines bleues : c’est toujours le ciel et la mer en même temps, dans un même endroit qui est à la fois l’un et l’autre. De même pour le feu et le sang. Il n’y a pas le feu d’un côté et le sang de l’autre. Il y a la couleur rouge, qui est feu et sang. Le feu et le sang sont la même chose. Ils sont la couleur rouge. “Vin rouge” signifie “Vin qui est à la fois feu et sang”. Le jaune quant à lui est or et soleil. L’or c’est le soleil ductile. Le soleil c’est l’or volatil.

Les couleurs secondaires ne sont rien. Ce ne sont pas des choses. Elles ne disent rien. Même quand elles apparaissent, ce sont des mots sans chose. Ambigües, “à définir”, scandaleuses… Elles sont l’entre-deux, la gelée tremblotante d’une apocalypse incomplète.

La couleur orange n’est pas un mot mais n’est pas non plus une chose. Quand on dit “une orange” on a l’impression de désigner le fruit par sa couleur, mais quand on dit “les nuages orange” on a l’impression de définir une couleur grâce à sa parenté avec un fruit. Si le crépuscule est orange, c’est parce que le mot “crépuscule” est utilisé pour désigner aussi bien la naissance du jour que la naissance de la nuit, c’est-à-dire la mort du jour. Ne vous trompez pas : ce n’est pas parce que le crépuscule est orange qu’il est ambigu, mais bien parce que le crépuscule est ambigu qu’il est orange.

Le vert aussi est crépusculaire, puisqu’il est censé désigner à la fois la nature au sommet de la vie et la pourriture, c’est-à-dire la nature au soir de l’agonie. Le vert tire la nature de la roche pour la rendre à la poussière. Quant au violet c’est déjà le noir, les profondeurs retournées, la vraie couleur de l’enfer, celle du sexe, des sexes, cavernes iridescentes, fleurs empoisonnées, fumerolles, chiens maudits, planètes gazeuses, étoiles effondrées. Suçon au cou du créé. Cicatrice d’un inceste intergalactique.

Le violet, le vert et l’orange nous menacent. Ils montent, glissent… Ils veulent prendre le ciel et dissoudre la terre. Ils nient la vie, car à la racine de Tout rien n’est orange, vert ou violet.

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Guillaume Sire
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