Le trognon de chou

J’y vais ce matin, à la pierre, au marteau, au creux terrible de la matière,
Je vais sculpter mieux que jamais, ou en tout cas je le pense, je m’efforce de le penser, j’essaye,
Je prends de l’argent, je le brûle en tous sens, et des bulles géniales éclatent, fluorescentes,
Je pense aux montagnes avec de la neige, j’ajoute du bois, du fer, je brûle tout, je casse les jointures,
Dans l’atelier autour de moi je ramasse le moindre copeau et je lui donne vie, je le surajoute,
Je frappe avec ma gueule, je frappe avec mes yeux morts,
Je pense aux croix saintes sur des chemins de pierres jaunes abandonnés dans les nuages et les chênes-verts,
Je pense à l’amour, à son vertige quand on a envoyé un message et que la fille n’y répond pas,
Je tabasse les coulures d’argent, je veux mieux, plus définitif, balèze,
Le bois je le soumets à l’interrogatoire des étincelles,
Je me souviens des égratignures purulentes après les chutes de vélo et de ce gendarme écrabouillé au bord de la route quand papa au lieu de freiner…
Je me souviens du silence sous une dalle où j’ai trouvé des bouteilles de vin vieilles comme des dinosaures,
Je continue à frapper et ma sueur et mon sang se mélangent à mes coups au point d’entrer dans la pierre,
Et je continue à griffer le silence et je continue parce que
Je voudrais enchaîner l’enfer !

Le résultat est terrible : un trognon de chou rabougri, sans couleur, morveux, échevelé, une craquelure sans âme et par-dessus des virgules gluantes.
— Qu’est-ce que c’est ? demande ma logeuse affolée lorsque le lendemain elle me retrouve ivre mort au milieu des poèmes.
— C’est ma peur.

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Guillaume Sire
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