1. [Au chef des anges, à sa force.] [Les flûtes auront été durcies au feu.]
2. Ouvre tes voies Seigneur, fends la masse bruyante. Entéléchie, complète-moi. Écoute mes plaintes. Entends ma peur. J’existe… Le Temps passe ! L’Espace est si épais !
3. Défais l’alliance de mes désirs, mes désirs séditieux, dénonce-les. Dénoue en moi l’envie, et fais de moi du feu, fais-moi purificateur ! Je parle ! Je tire sur ton manteau ! Je te poursuis et te rappelle, je m’énerve, je t’en veux, je te dissous au carroyage de mon emploi du temps, je t’incorpore à des chapelets de ronces, à des miroirs et à des avalanches de mensonges, toi tout petit, toi créateur… Je te décrée. Je te réduis. Pourtant jamais je ne te maudirai, jamais je ne couperai cette corde à ma cheville. Retiens-moi, je t’en supplie. Fais-moi tomber !
4. Paraclet ! L’aube aux doigts de rose quand elle a crevé l’essaim de chauve-souris qui grelotait sous la mamelle de la lune — te réclame : “Viens, Esprit !” Alors je me tourne vers toi. Je m’en sors. Je m’extirpe. Les pédicelles de la chrysalide cèdent une à une et leur bruit est dégoûtant, bruit de coquille d’œuf écrasée dans le mazout, bruit de bois mort broyé dans l’huile, et je me convertis — et ce qui en moi existe désormais en toi insiste.
5. Car tu n’as pas plaisir au mal, et ta joie n’est jamais dans ce qui sépare. Même le mal tu ne le sépares pas. Le mal est le nom sur terre de ta miséricorde. Tu m’appelles, tu nous as envoyé ton fils unique. Chaque matin pour le vigneron infidèle est une invitation, chaque instant un appel.
6. Celui qui se détourne, celle qui s’invertit, ceux qui fuient ton regard sont des épis qui voudraient s’élever sans racine. Ils inventent ta haine. Ils paramètrent ton absence.
7. Mais dans leur âme tu assassineras le mensonge. Leur sang sera sur toi. Ton fils a endossé leurs fraudes. Tu rapatrieras leurs machines. Tu dénonceras leurs machinations.
8. Ce matin, le vent soufflait. Le grille-pain a fait de siennes. Il y avait des nuages, des cailloux blancs, des citrons, de la brioche, de la beauté. Tu n’as pas détourné les yeux. Tu ne les détourneras jamais. Je vais vers toi par la porte étroite. Je frappe, je gratte, j’y vais la tête la première. Je me blesserai. Je me roulerai dans ta poussière.
9. Amour ! Fais moi traverser les circuits électriques, les pages saumon du journal, la sociologie, les dolipranes, les mauvais romans, les trottinettes, le american-dream protestant… Ne me fais rien vouloir !
10. Car rien n’est sincère chez ceux qui veulent ; leur ventres sont remplis de vide. Ils mangent de l’argent. Ils grossissent dans leur sépulcre. Ils passent leur temps sur Internet. Le vide est leur berger. Le mal est leur boisson. Pour un peu plus de peau, ils seraient prêts à tuer.
11. Je t’en supplie pour eux : éclaire-les. Perds-moi s’il le faut. Oublie-moi, et prends-les à ma place, car ils l’ont plus mérité que moi. C’est pour eux après tout que Jésus a hurlé sur la Croix. Que dans le pire moment de la matière, dans la plus ignoble des satisfactions, qu’au détour du plus positiviste des concepts et de la plus progressiste des mesures, tout à coup, ils réalisent ! Qu’enfin ils comprennent ! Précipite-les dans ton amour ! Accueille leur rébellion !
12. Alors ils t’ouvriront les bras. Alors ils connaîtront la joie. Ils iront par leur âme, pieds nus, les mains ouvertes vers le ciel.
13. Tu leur révèleras leurs noms. Tu leur diras le tien. Ils ne craindront plus rien.